Henrik B. Nilsson est suédois, son premier ouvrage s’intitule Den falske vännen et a reçu le Grand prix du premier roman en Suède. A.F est éditeur français, il bosse chez Bernard Grasset et il a eu un coup de foudre pour Le Faux Ami "un grand roman littéraire de style classique, accessible à tous et qui se lit d’une traite", traduit par Philippe Bouquet. Ce monsieur F. a certainement raison, même si je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui.
Le Faux Ami est un "roman littéraire de style classique", certes. Autrement dit, des phrases longues au style parfait, aux accords irréprochables, un niveau de langue que je ne saurai jamais employer en public. Autrement dit, des plus-que-parfait-du-subjonctif-du-conditionnel-supérieur-de-sa-majesté, des descriptions comme celle qui commence avec un bateau et finit aux hameçons des truites de montagne. Et jamais un mot plus haut que l’autre.
Le Faux Ami est "accessible à tous", certes. A condition d’avoir fréquenté et échangé moult palabres avec des Victor H. ou des Emile Z. ou encore des Honoré de B. au meilleur de leur forme artistique.
Le Faux Ami "se lit d’une traite", n’importe quoi. L’histoire des trois petits cochons et du vilain petit canard se lisent d’une traite, certainement pas Le Faux Ami. Un peu moins de six cents pages tout de même, ajoutez à cela deux intrigues enchâssées l’une dans l’autre, et pour compliquer le tout, une intrigue évolutive, et la deuxième dévolutive (si ce mot existe).
Et malgré tout, le lecteur n’est pas perdu, bien au contraire, la logique implacable du roman ne se révèle qu’à la toute fin. Au fond, c’est un peu comme escalader le Piton de la Fournaise en Tongue (si jamais l’idée vous prend…) : ça grimpe, ça glisse, on n’en voit pas le bout, la progression difficile fait franchement douter, embrouille l’esprit, et finalement, arrivé au sommet, à la fin, on voit les deux côtés de la montagne, tout s’imbrique, tout devient cohérent. A la seule différence qu’en lieu et place de l’intense sentiment de satisfaction qui vous envahira à l’arrivée de l’aventure en Tongue, vous toucherez du doigt la logique d’Henrik B. Nilsson, vous vous murmurerez peut-être même un "ben oui" évident.
L’histoire se passe au début du XXème siècle, Freytag est un correcteur-pinailleur-de-virgule à la retraite et Barsch est un "conteur béni des dieux mais incapable d’écrire". Ce dernier doit son succès au premier, si bien qu’il exige de lui qu’il rafistole son dernier manuscrit, le meilleur de tous. Le problème est que le manuscrit en question dénonce les dessous d’une respectable élection papale, certains secrets bien gardés de l’église et des manipulations en veux-tu en voilà. De quoi éclabousser de grands noms et de solides institutions. Ce que certains ne voient pas d’un œil favorable.
Pour aller plus loin, le roman offre un véritable sujet de thèse sur la paire, le yin et le yang par tout et pour tout. Chaque détail, chaque personnage, chaque moment a son alter ego dans le roman. Le cardinal Rampolla-le-diplomate contre le cardinal Sarto-pasteur-de-campagne, les sardines à l’huile quotidiennes contre le Mohnstrudel exceptionnel (divine pâtisserie), la candeur de Freytag contre la duplicité de Shlink, l’atmosphère de vils mensonges contre l’éclatante vérité sous-jacente… Une thèse je vous disais.
Pour conclure en quelques mots, tout ce que quiconque pourra dire ou écrire à ce propos revient à chanter que l’amour est enfant de bohème sous la douche : l’ensemble est de fort piètre qualité au vu de la version originale, donc de l’impeccable Faux ami de monsieur Nilsson. Même si j’aurai préféré décerner un prix littéraire au courageux petit Poucet. |