"Avant, tous les groupes essayaient de jouer comme Mogwai ; aujourd'hui, Mogwai joue comme tous les autres groupes". C'est ainsi que j'envisageais depuis une paire d'albums de finir par parler des écossais, dont les dernières évolutions musicales m'avaient laissé déçu. Seulement voilà, le dernier album de Mogwai est un live et ne me donnera pas l'occasion de simplifier aussi cruellement les choses.
À vrai dire, Special Moves contient tout en lui des hauts et des bas de la Scottish Guitar Army et me renvoie à la relation très particulière que j'entretiens à ce groupe –"comme tout le monde", serais-je tenté d'ajouter, tant il est vrai que Mogwai reste un groupe réellement à part, même dans les horizons des plus érudits amateurs de quelque chose comme le post-rock.
Sur le papier, le projet est plutôt alléchant : un CD et un DVD, tous deux enregistrés à l'occasion de trois dates jouées en avril 2009 à Brooklyn. Et les deux supports ont le bon goût de ne pas proposer la même setlist, pénible et trop fréquente redondance. Autre bonne surprise : les titres sont tirés de toutes les époques mogwaïesques et l'on retrouve notamment d'immenses classiques comme "Mogwai Fear Satan", "Like Herod", "Cody", "New paths to Helicon part 1" et même le trop souvent sous-estimé "You don't know Jesus", qui cotoient les "hits" les plus récents de la formation ("Friend of the night", "Hunted by a freak", "Glasgow Megasnake", "Batcat").
Malheureusement, la jubilation qu'un tel programme avait pu faire naître ne tarde pas à retomber à l'écoute du CD : l'âme ne semble plus y être, tout simplement. "Mogwai fear Satan", notamment, a pris quelques rides en perdu sa flûte. Le son de Mogwai s'est transformé, s'est fait plus direct, plus massif mais moins dense, et quelque des fulgurances passées semble n'avoir pas survécu à cette mutation. Déception partiellement injuste, certainement. Objectivement, le live est loin d'être mauvais. Mais comment se satisfaire de bien aimer, lorsque on a été infiniment transi ?
Jouant ainsi l'amoureux mélancolique, on pourrait presque négliger de visionner le DVD, pour ne pas rouvrir, en même temps que l'album photo d'un passé perdu, une blessure profonde. On aurait pourtant tort, car c'est bien du support vidéo que vient la réelle excellente surprise de ce Special Moves. Le film se nomme Burning, on le doit à Vincent Moon et Nat Le Scouarnec et c'est sans aucun doute une grande réussite.
Dès l'ouverture, sans fioritures, la beauté des images s'impose avec l'évidence d'un noir et blanc aux contrastes marqués, que n'aurait pas renié Anton Corbijn s'intéressant à Joy Division. Noirs profonds, blancs fantomatiques déchirant les obscurités, cadrages serrés, sensibles, entre évocation et découverte du détail signifiant, toujours parfaitement pertinents et jamais poseurs. Quelques visages, en clair-obscur, à la limite du portrait ; des instruments, le public, quelques échanges de regards. Un montage sans effets de manches, mais d'une grande intelligence, tout entier au service de la musique, seule à l'honneur. Non pas l'orgueil des hommes ou l'appétit des fans. Et soudain, le miracle se produit. On retrouve Mogwai, tel qu'on l'a aimé dès la première écoute de Ten Rapids, quelques années plus tôt. Celui par lequel les mots "puissance" et "évocation" ont pris un nouveau sens en musique. D'ailleurs, l'un des points culminants du DVD est certainement ce "New paths to Helicon part 1" revenu du passé.
Se trouve ainsi résumé en un live tout ce que l'on peut penser de Mogwai. La formation reste assurément l'un des très grands noms de la scène rock et un peu plus, quoiqu'elle prenne parfois pour ceux qui la suivent depuis longtemps le visage de ce groupe que l'on aime détester, que l'on aimerait tant aimer moins, faute de pouvoir l'aimer plus encore. Une excellente occasion, on l'aura compris, de raviver la flamme. En attendant de pouvoir être déçu par le prochain album. |