Avant d'entendre l'album, il y avait la vidéo de "Heathen Child" qui tournait sur internet. Une vidéo chaotique, dans laquelle on croisait un loup-garou, un Nick Cave bleu déguisé en Krishna, une majorette de l'espace aux dents pointues ou encore les quatre membres de Grinderman en dieux grecs, affublés de casques, de jupettes et de caleçons à motif léopard, et qui lancent des rayons destructeurs avec leurs mains. Cette vidéo, réalisée par John Hillcoat, est une illustration très premier degré des paroles de cette chanson. John Hillcoat, qui est un vieux compagnon de route de Nick Cave et Warren Ellis avec lesquels il a travaillé sur plusieurs films, s'amuse visiblement de cette lecture d'un texte à propos d'une jeune femme qui, dans la solitude de son bain, se laisse submerger par ses pensées malsaines et les monstres qui peuplent son inconscient. Mais l'approche horrifique, à la fois drôle et menaçante, qu'a John Hillcoat de cette chanson et la complicité des membres de Grinderman sont des signes de la liberté sauvage qu'on retrouve tout au long de l'album.
Certes, on suit les empreintes laissées au sol qui sont la marque de Nick Cave. D'une part, il y a les références à des figures spirituelles, Krishna, Allah ou l'Ange Gabriel, et d'autre part, une filiation bâtarde entre les ambiances de ce Grinderman 2 et le blues gothique de John Lee Hooker ou de Blind Willie Johnson, ou encore la country habitée de Johnny Cash. Mais par la structure des chansons, le groupe brise complètement ses chaînes. Aucun de ses membres n'est plus lié aux autres projets dont il fait partie, exit la sobriété des Bad Seeds, les ambiances embrumées des Triffids, ou les mélodies lacérées à coups d'archet des Dirty Three. Place au bruit excitant, au son des chocs, aux guitares qui démarrent à fond sans prévenir et disparaissent brutalement, aux rythmes tribaux qui cernent des chansons prêtes à combattre sans faire de prisonnier. Ce disque résonne de manière inattendue, insane, impie, effrayant mais aussi novateur et amusant.
Souvent le premier Grinderman restait engoncé, mais ici c'est le couteau entre les dents qu'ils attaquent. Le disque s'ouvre avec "Mickey Mouse and the Goodbye Man", des riffs grinçants et une ambiance moite et sale. Lorsque le rythme s’apaise, on aborde les souvenirs étranges, presque tendres, comme avec "What I know". Sur "Worm Tamer", c'est à l'humour en-dessous de la ceinture que s'essaie Nick Cave "My baby calls me the Loch Ness Monster – two great big humps, and then I'm done".
En chemin, on restera complètement obsédé par le violon hallucinatoire de Warren Ellis sur "When My Baby Comes", et on se laissera prendre par la main pour se faire emmener dans les mélodie labyrinthiques des "Palaces of Montezuma". A la fin, la ballade morbide de "Bellringer Blues" avec la voix de Nick Cave qui côtoie autant les cimes que les abîmes et les bandes jouées à l'envers qui nappent la mélodie, finit de donner le vertige.
Grinderman 2 est un grand disque.
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