Bashung,
la classe
La
scène est propre, rangée. Seule une table de bistrot
avec un verre d'eau fraiche trône derriere les retours. Une
estrade dédiée aux musiciens est placée au
fond, laissant une large surface pour l'artiste.
L'arrivée de deux écrans plats au niveau des retours
me fait perdre toute illusion. Je vais assister au concert sans
relief d'un vieil artiste usé qui n'arrive même plus
à se souvenir des paroles de ses chansons. Je pense tout
à coup à un autre mythe français dont la décence
m'interdit de citer le nom de famille mais dont chacune des prestations
fait désormais un peu pitié. Oui, vous pensez bien
au même que moi...
La musique de fond s'arrête et toute l'équipe entre
sur scène. Juste le temps de commencer le morceau et Alain
Bashung apparaît, tout de cuir vêtu. Et dès
la première chanson, mes préjugés volent en
éclats.
Ce n'est pas un vieux mythe ridicule que le public a devant les
yeux mais un rockeur bien vivant, une présence, un charisme
bien loin de tous les préjugés. "Tel",
"La nuit je mens", c'est un
départ en fanfare. Derrière lui, on trouve une équipe
soudée : un violon, un violoncelle indispensables pour la
plupart des nouvelles chansons, un guitar-hero chevelu sorti tout
droit des années 80, un bassiste vigoureux au look camionneur
(marcel kaki du plus bel effet) ainsi que les classiques guitare-clavier-batterie
plus ordinaires. Que de la grosse pointure au service d'une orchestration
impeccable.
Des
vidéos sont projetées sur des écrans géants
derrière le groupe mais personne ne les regarde. Tout le
public n'a d'yeux que pour le chanteur. Toutes les générations
sont réunies : du jeune adolescent amateur de Kyo
et de Star Ac' à la ménagère de moins de 50
ans qui tremble en ecoutant "Vertiges
de l'amour" en direct. Les 5 000 personnes sont debout
et se pâment.
Hormis les quelques tubes universels, la plupart des chansons jouées
ce soir proviennent des deux derniers albums et il est indéniable
que le passage au live de Fantaisie Militaire
et l'Imprudence montre l'exceptionelle
qualité des deux opus.
Les titres les plus sombres se transforment, les plus simples prennent
de l'ampleur et les derniers chansons comme "Faites
monter" deviennent des bombes soniques à faire
rougir les plus bruyants groupes indés. Bashung continue
son show. Il boit son verre d'eau, rampe à terre, invite
sa femme Chloe Mons à chanter un
duo et s'en va théatralement en mettant son chapeau et en
quittant la scène dans une volute de fumée.
Comme me le susurre mon voisin pendant "Angora",
en regardant la foule ébahie, aux anges : "Il a la classe
non ?". Nul ne pourrait dire le contraire.

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