Montage de textes de Harold Pinter, mise en scène de Florence Bermond, avec Marie-France Alvarez, Arben Bajraktaraj, Simon Masnay, Eric Nesci et Jutta Wernicke-Sazunkewitsch.
Florence Bermond a puisé dans le corpus politique de l'oeuvre du dramaturge britannique Harold Pinter, sans doute plus connu pour ses comédies dramatiques dites "psychologiques", pour évoquer la géométrie variable de l'oppression aux mille visages d'autant plus insidieuse et radicale qu'elle n'a pas de sang sur les mains.
A partir d'une sélection avalisée par Pinter lui-même avant son décès en 2008, elle a élaboré un montage kaléidoscopique totalement pertinent, qui tient à la compréhension et à la fidélité à l'oeuvre, et réussit un travail abouti qui révèle un travail d'une intensité réflexive et émotionnelle dérangeante qui, jumelée avec une approche esthétique mêlant surréalisme et violence l'inscrit s'inscrit dans le registre du théâtre percussif à la manière de Pippo Delbono.
Du choix judicieux des textes à l'habillage musical, tout est réussi dans ce spectacle pensé et conçu avec une intelligence remarquables et une technique rigoureuse. Et le montage est d'autant plus incisif qu'il déjoue la progression dramatique ordinaire basées sur la spectacularité croissante en l'inversant, commençant par l'hyper réalisme de la barbarie de guerre.
Réussite donc, de la direction d'acteur et de l'interprétation investie - le quintet pluri-ethnique que forment Arben Bajraktaraj, Simon Masnay, Eric Nesci, Jutta Wernicke-Sazunkewitsch et Marie-France Alvarez, toutes deux lumineuses, excelle à dispenser cet oratorio pour une humanité déchue à travers un travail du corps très prégnant - à la scénographie d'Yvan Robin qui atteste d'une maîtrise de l'espace et des volumes - le spectacle commence sur un micro plateau pour s'ouvrir sur un champ de dévastations - sans oublier les lumières de Thomas Veyssière et Gabriel Galenne qui sculptent l'espace.
Ne versant pas dans le travers de la profération politique du théâtre dit "engagé", "Démocratie(s)" s'inscrit, de surcroît, totalement dans la représentation du texte et dans la stratégie dramaturgique pintérienne de la diffraction : "Quand nous nous regardons dans un miroir nous pensons que l’image qui nous fait face est fidèle. Mais bougez d’un millimètre et l’image change".
A voir impérativement donc, et, à suivre, la Compagnie La Louve Aimantée, dont Florence Bermond assure la direction artistique. |