Pour son quarantième opus, Gonzague Saint Bris fait revivre Alfred de Musset le grand poète à la plume si reconnaissable, faite de lyrisme et d'amour sincère. "Et si la biographie n'était que l'exploration de la géographie d'un visage, l'exercice attentif du relevé topographique des reliefs d'une figure" écrit-il dans le prologue.
Car c'est une photographie d'Alfred de Musset remise par Christine Sand, la petite fille de George, qui l'a incité à se pencher sur la vie du poète. "Cette photo n'est-elle pas la manière la plus moderne de comprendre, de rassembler et de retrouver Alfred de Musset ?".
Voilà une manière inhabituelle d'appréhender le parcours d'une vie et d'un homme pour tenter d'en brosser un portrait d'autant moins académique que Gonzague Saint Bris n'est pas historien de formation.
De Musset, le grand public ne connaît que quelques parties émergées comme sa perception de soi, "Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux", sa liaison tumultueuse avec George Sand et quelques unes de ses pièces comme "On ne badine pas avec l'amour", "Lorenzaccio" ou "Fantasio" dans lequel le rôle-titre est son propre double.
Issu d’une famille aristocratique, enfant plein d'esprit et de charme, brillant élève doté de dons artistiques, Musset est promis au plus bel avenir. Mais il est atteint du mal du siècle, la mélancolie, au sens psychiatrique du terme qui le voue à l'anxiété, à une lucidité angoissante face à la vacuité de la condition humaine ("Jamais je ne serai bon à rien, jamais je n'exercerai aucune profession. L'homme est déjà trop peu de chose sur ce grain de sable où nous vivons ; bien décidément je ne me résignerai jamais à être une espèce d'homme particulière") et à l'éthylisme.
Pour Gonzague Saint Bris, il est "l'incarnation par sa jeunesse, sa beauté et son immense talent, du romantisme le plus absolu". Ou la rencontre entre un amoureux du romantisme français et l'incarnation du romantisme absolu. Mais ce qui fait l'originalité de cette biographie, voire sa force, c'est bien sa forme. Loin de l'académisme pur qui gouverne trop souvent dans ce genre d'exercice, Gonzague Saint Bris transforme cet essai en une sorte de roman, dont le personnage principal est Alfred de Musset. Et à travers ce dernier, c'est le Paris du XIXème siècle que l'on traverse et redécouvre dans les pas de cet immense poète.
Dans l'esprit des grands romans réalistes de cette époque, Gonzague Saint Bris nous offre une belle description des lieux et des personnages qui ont fait la gloire de la capitale. Le jardin du Luxembourg, les cafés à la mode en passant par les bordels sordides, le tout rythmé par les rencontres entre Musset et ses illustres contemporains comme Hugo, Beaudelaire, Lamartine et bien sûr, George Sand. A travers cet ouvrage, l'auteur dresse un portrait sincère, sans complaisance et finalement, assez moderne du grand romantique qu'était Musset. "Il serait peut-être, aujourd'hui, un chanteur rock, accro aux drogues dures et compagnon de top models".
Un très beau livre pour tenter d'approcher au plus près l'homme au-delà de l'homme de plume.
|