Seconde date du Festival Les Inrocks, cette soirée à La Cigale consacrée aux artistes de l'excellent label Bella Union a de quoi faire saliver : les sympathiques canadiens de The Acorn, la révélation / résurrection 2010 John Grant - dont le merveilleux Queen Of Denmark restera quoi qu'il arrive (au hasard, un concert frustrant) une des sensations de l'année -, la splendide électro-pop lunaire de Beach House, et les américains Midlake, figure majeure du rock indé des années 2000 auteurs notamment de l'inoubliable The Trials Of Van Occupanther il y a quatre ans. Seule crainte alors que nous pénétrons dans la Cigale : la prometteuse montagne allait-elle accoucher d'une souris ?
Pour avoir déjà assisté à plusieurs soirées du Festivals des Inrocks les années passées, on sait à quoi d'attendre : des sets courts et qui nous laissent souvent sur notre faim. Mais la qualité des artistes présentés ce soir semble apte à nous faire mentir. Affiche chargée oblige, il est 19h quand The Acorn monte sur scène. On connait peu ces canadiens précédés d'une très bonne réputation. Leur folk-rock tantôt intimiste tantôt plein d'entrain - bien qu'un peu austère par moments - s'avère être une bonne surprise. Interprétée avec deux batteries, leur musique alterne entre titres lancinants à l'ambiance feutrée avec roulement sur les toms, et chansons plus tendues faisant la part belle aux guitares frénétiques. Pas renversant, mais parfait pour s'échauffer en vue des plats de résistance.
Après un rapide changement de plateau (et pour cause : un clavier, un synthé, un micro, et puis c'est tout), le grand et barbu John Grant s'affiche devant nous. Dès le début de son récital, la partie se présente mal : l'américain annonce qu'il va se faire peu bavard vu le peu de temps à sa disposition pour chanter. Accompagné d'un seul clavier, on sent également que la magie des arrangements de l'album va être compliquée à retranscrire. Debout les bras ballants derrière son micro, John Grant interprète à la file ses chansons : "Marz", "Where Dreams Go To Die", "It's Easier", "Queen Of Denmark", "Sigourney Weaver".
Sa voix et la qualité des compositions sauvent le set. Pour le reste, on peut être déçu : 25 minutes d'un show minimaliste, pas de "TC And Honeybear" dans la setlist, un synthé miteux et des versions dénudées ne rendant pas grâce à ses splendides compositions. Tout ceci ne nous empêchera pas de continuer à chérir son album à sa juste valeur, mais pour ce soir, comme disait l'autre : "C'est un peu court, jeune homme".
Déjà croisés cet été au festival Pukkelpop, on se doutait un peu que les américains de Beach House seraient davantage dans leur élément dans le cadre plus intimiste de La Cigale. Ils réalisent un concert parfait, émaillé de bijoux électro-pop ("Better Times", "Walk In The Park", "Silver Soul", "Take Care", "Used To Be", "Zebra"). Les titres de leur excellent dernier album (Teen Dream) fascinent. Les nappes de synthé s'entremêlent à la perfection, créant un tapis sonore ondulant sur lequel les lignes de chant de Victoria Legrand atteignent des sommets de beauté. Alex Scally bondit autant que possible sur sa chaise, tissant d'irrésistibles ritournelles avec sa six cordes gorgée de réverb. La magie opère : atmosphérique, mélancolique, cotonneuse et lumineuse, la magnifique dream pop de Beach House prend au corps, fait rêver et emporte ailleurs. Même l'étrange secoué de tignasse de madame ne contrecarra pas notre bonheur.
La grande incertitude de la soirée concernait Midlake, dont le dernier The Courage Of Others a quelque peu refroidi nos ardeurs. Fort intelligemment, les américains - vêtus et barbus ce soir comme des clones 70's - jonglent entre les meilleurs titres du nouvel album ("Acts Of Man", "Winter Dies") et des extraits du classique The Trials Of Van Occupanther ("Young Bride", "Roscoe", "Branches", "Head Home").
Empruntant un sentier beaucoup plus rock que sur disque, les sept Midlake - ça en fait du peuple sur scène - séduisent. La finesse de leurs compositions transparaît avec encore plus d'éclat sur scène. Interprétant leurs morceaux avec énergie et proposant des arrangements parfaitement ciselés (duos de flûte traversière, joutes entre quatre guitaristes pas manchots pour un sou, subtiles lignes de clavier), les américains éteignent nos doutes et font taire leurs détracteurs. Et lorsqu'ils invitent sur scène Jason Lytle, le héros indé ultime (leader de feu Grandaddy), pour une reprise de "AM 180" (titre présent sur Under The Western Freeway, premier album de Grandaddy), l'affaire est définitivement pliée. Seule ombre au tableau : des structures et des parties de chant souvent proches d'un titre à l'autre. Mais ceci ne gâche aucunement notre plaisir : on ressort de la Cigale comblé.
L'alléchante affiche a donc presque tenu ses promesses : malgré la semi-déception John Grant, on retiendra avant tout de cette soirée la magie de Beach House et la somptueuse maîtrise de Midlake. |