Pour sa dernière date parisienne, le festival Les Inrocks délaisse le boulevard Rochechouart pour s'installer Porte de Pantin. Sur le papier, l'affiche du Zénith est sacrément déséquilibrée. Elle le sera également dans les faits : commencée de façon très brouillonne, la soirée finira en trombe.
Le peu que l'on ait écouté d'Is Tropical ne nous incite pas vraiment à faire preuve d'enthousiasme. Confirmation avec ce concert poussif : la musique du trio électro rock londonien laisse nos guibolles désespérément statiques. Compositions pas très fines et sans réel fond (des "boum boum" de grosse caisse et de lourdes basses synthétiques ne font pas tout), de vilains cache-nez : leur performance, peu aidée par une sono catastrophique, se fait pénible à mesure que les minutes s'égrènent.
Un trio succède à un autre : les parisiens de Jamaica (difficile de louper leur nom : les musiciens évoluent au milieu des 7 lettres rouges majuscules) montent sur scène au son de "Dreadlock Holiday" de 10 CC ("I don't like reggae, I love it"), preuve que le groupe manie bien l'ironie. Car Jamaica a autant à voir avec le reggae que Teddy Riner avec la pelote basque. Ils doivent par contre pas mal de choses à Phoenix. Si les ex-Poney Poney produits par un Justice (Xavier De Rosnay, le petit sans la moustache) tentent de suivre la voie des versaillais, c'est avec moins de verve.
Ils ont quand même du mérite dans un Zénith désespérément vide (moitié plein ? moitié vide ? la question nécessite assurément un débat) et à la sono chaotique (on a très bien compris ce que voulait dire la batterie, beaucoup moins les guitares). Les parisiens sont appliqués. Trop, même. Sur album, les morceaux de Jamaica ne brillent certes pas par leur originalité, mais ont au moins le mérite d'être efficaces et énergiques. On retiendra ce soir un manque de spontanéité et d'échange avec le public. La fosse, désireuse d'en découdre, attend un déclic qui ne viendra pas. On croit pourtant le moment venu avec "I Think I Like U2", titre il est vrai assez irrésistible, mais l'interprétation manque d'ampleur, et le souffle retombe bien vite.
En délaissant les trios pour les collectifs, on se dit que la roue va tourner. Les rémois de The Bewitched Hands ont beau être sept, on ne décolle pas notre regard des deux étranges gratteux s'excitant en devant de scène : à notre gauche, le chanteur / guitariste à la tronche digne d'un prof de Poudlard, aux lunettes de ma grand-mère et à l'embonpoint de mon grand-père. A ses côtés et à notre droite, un guitariste / chanteur barbu au regard de killer. Même s'ils ne sont plus On The Top Of Our Heads, on reste scotché par la musique des Bewitched Hands, qui distille de vrais instants de grâce.
Les deux chanteurs sont habités sans avoir à en rajouter, le groupe est excellent et déroule une sacrée collection de bonnes chansons aux émanations 90's plutôt élogieuses (on pense à Pavement, Pixies, Grandaddy, Supergrass, ou plus récemment à Arcade Fire et The Shins). Résultat : un remarquable set d'une intensité peu commune. La France tient là un groupe rock ambitieux capable de gravir des montagnes. On sent une grandeur chez les Bewitched Hands, un potentiel énorme. A suivre de très très près, donc. En commençant par se ruer sur leur premier album (Birds And Drums), tout fraîchement sorti.
L'excitation gagne la fosse pendant le changement de scène : ça se sent, ça se voit, tout le monde - nous y compris - est venu pour le supposé last show ever in Paris des LCD Soundsystem. En patientant sagement, ça théorise sur le meilleur show vu des New-Yorkais à Paris. Pour notre part, c'est le premier, on va donc tâcher de garder les yeux grands ouverts. Etant donné la qualité des disques de la troupe de James Murphy et leur excellente réputation live, ça ne devrait pas être trop compliqué.
La longue intro de "Dance Yrself Clean", calme avant la tempête, annonce une heure de déferlante électro-punk-disco. La set-list se concentre essentiellement sur le dernier et très bon This Is Happenning, tout en contentant les nostalgiques avec plusieurs extraits de l'inaugural LCD Soundsystem (2005). Après "Dance Yrself Clean", le groupe enquille la percutante "Drunk Girls", peut-être ce que LCD Soundsystem a fait de mieux depuis ses débuts (et dont le clip est à voir coûte que coûte). L'atmosphère surchauffée retombe un peu sur la paisible "I Can Change", où James Murphy n'a peut-être jamais aussi bien chanté. La chanson est sans doute un chouia trop longue, mais c'est vraiment beau.
"Daft Punk Is Playing At My House" relance les hostilités avant que "All My Friends", unique extrait de Sound Of Silver (2007), ne vienne enfoncer le clou par une longue et énergique montée en puissance. "You Wanted A Hit" déroule patiemment son groove glacé, pendant que James Murphy s'énerve progressivement. Sans temps mort, le groupe enchaîne avec "Tribulations", provoquant l'extase du public. Il faut dire que ce tube électro-disco est la définition même de la machine à danser et provoque logiquement moult remous dans la fosse.
Les sonorités ont beau être électroniques, c'est bien à l'énergie rock que carbure LCD Soundsystem. Derrière une section rythmique d'airain (dont une moitié est en short et pieds nus), James Murphy dégage une trompeuse nonchalance qui se mue en frénésie dès que les chansons gagnent en puissance. Donnant de sa personne, il est fascinant d'aisance et d'intensité. Pour preuve l'enchaînement de "Movement" et "Yeah", mastodontes électro-punk, qui laissent le public lessivé après une sauvage explosion finale.
Frustré de devoir bientôt quitter la scène, James Murphy tente de négocier une prolongation, mais se voit adresser une fin de non recevoir. Le show se conclut donc sur "Home", où le public reprend avec émotion le thème de "Dance Yrself Clean". La boucle est bouclée. On aurait vendu notre âme pour une rallonge. Mais on ne peut pas faire la fine bouche après un show de ce calibre. Un putain de concert, voilà ce que nous ont offert les LCD Soundsystem ce soir. Il y a peut-être eu de meilleurs concerts parisiens de LCD, mais celui-ci sera le nôtre. Le seul ? |