Les Black Angels continuent leur exploration d'un rock psychédélique revenu de l'âge d'or du rock. Mais pour Phosphene Dreams, leur troisième album, ils ont appris à s'éloigner du chamanisme morrisonien qui avait fait leur succès pour reconsidérer toute l'étendue de leurs influences.
Un rien moins de reverb, si ce n'est dans la voix, des tournures moins fascinées par leur propre caractère systématiquement hypnotique, plus de variété dans les sonorités, des compositions moins linéaires, plus imprévisibles... à côté du Velvet Undergound et des 13th Floor Elevators, on parviendra à entendre également Jefferson Aiplane, le Grateful Dead et tout ce que les compilations Nuggets avait su exhumer de pépites de pop-rock-psychédélique. Les compositions s'ouvrent également aux réminiscences du Pink Floyd psychédélique (du Piper at the Gates of Dawn jusqu'à Ummagumma, disons), des Electric Prunes lorsqu'ils se laissaient inspirer par les chants grégoriens. Jusqu'à un détour, peut-être ironique, au surf-rock ("Telephone" rappellera ainsi les Doors de "I looked at you" ; et le titre même d'ouverture, "Bad Vibrations", peut-il ne pas être une allusion au "Good Vibrations" des Beach Boys ? Cette allusion, pour le titre certainement le moins léger de l'album, d'une épaisseur à faire passer Iron Butterfly pour une baudruche pachyderme, peut-elle n'être pas délibérée ?).
Ces influences nombreuses et totalement assumées pourraient bien décevoir ceux qui n'aimaient les Black Angels que pour leurs obscurités ; mais elles raviront ceux qui sont prêts à les suivre dans des directions aux lueurs plus ambivalentes. Car il n'y a aucun doute : les anges noirs ont enrichi leur musique en apprenant à sourire. Et c'est un sentiment troublant que de les voir ainsi, en clair-obscur, le visage fendu de cette façon de sourire un peu figée que seuls arborent naturellement les masques. Loin de s'arrêter à l'exercice de style, certainement gratuit, d'un album-hommage récitant ses influences, Phosphene Dreams sait les remettre au jeu d'une véritable créativité artistique à la personnalité marquée. Que se rassurent ceux qui aiment être inquiétés : si l'album est plus lumineux, ces lueurs pourraient bien être trompeuses, véritables rêves de phosphene – c'est-à-dire, au final, de simples illusions d'optiques. Du rock psychédélique sans la naïveté hippie, en somme.
Aussi concis soit-il (il ne dure pas trente-sept minutes), ce troisième album présente une richesse, une profondeur et un sens des contrastes que n'avaient pas ses prédécesseurs (les excellents Passover, 2006, et Directions to see a ghost, 2008). Il illustre bien une évolution globale de ses auteurs, dont est exemplaire l'assurance nouvelle de la voix d'Alex Maas, qui ose enfin assumer son timbre et ses inflexions en s'affranchissant à la fois de la référence, écrasante, au chant de James Douglas Morrison et de la nécessité de se cacher derrière des flots de reverb ici mieux maîtrisés.
Après deux albums indispensables, à l'identité très forte mais très noire, les Black Angels entament une mutation qui pourrait bien, c'est tout le mal qu'on leur souhaite, les mettre en pleine lumière, juste au devant de la scène. Surtout, ils confirment ce que l'on soupçonnait déjà : leur capacité à réussir là où Anton Newcombe et son Brian Jonestown Massacre peinent à tout à fait nous assurer de la crédibilité du projet : jouer en 2010 un rock psychédélique qui ne sente pas la naphtaline, le pur revival vintage. |