Spectacle musical écrit par Vincent Daenen, mis en scène par Jean-Luc Revol, avec Denis d’Arcangelo, Sinan Bertrand, Sophie Tellier, Christine Bonnard, Olivier Breitman et Flannan Obé.

L'année 2010 est placée sous le signe du spectacle musical pour Jean-Luc Revol qui l'a commencé avec "Non, je ne danse pas" et la clôt en beauté avec "La nuit d'Elliot Fall", un road-movie musical époustouflant et totalement réussi.

Jean-Luc Revol a fait appel à un jeune auteur belge, Vincent Daenen, pour écrire la trame dramatique de ce qu'il voulait être un road-movie en forme de conte de fée initiatique, ce qui n'était pas la moindre des gageures avec l'argument choisi, l'émerveillement perdu.

Celui-ci signe une intrigue échevelée et syncrétique qui puise dans tous les registres du conte et du mythe et du fantastique au merveilleux, tordant le coup notamment à l'angélisme des figures waltdysnérisées, pour narrer métaphoriquement un monde à la dérive dans lequel les préoccupations matérielles ont étouffé toute aspiration au rêve et sensibilité à l'enchantement.

Et toute l'affiche est à l'avenant car force est de constater que Jean-Luc Revol, qui n'est pas un metteur en scène né de la dernière pluie, a su fédérer les talents pour constituer une affiche aussi alléchante que professionnelle notamment de comédiens-chanteurs pour soutenir la partition musicale composée par Thierry Boulanger.

Ce dernier a également écumé tous les genres pour élaborer une palette musicale originale, colorée et contrastée qui surprend toujours le spectateur qui vibre autant au rythme d'une ballade que d'un tango dont les chorégraphies ont été confiées à Armelle Ferron.

Avec la collaboration inspirée de la scénographe Sophie Jacob et de la costumière Aurore Popineau, Jean-Luc Revol transporte ce dernier dans un univers qui mêle kitsch et expressionnisme, inspiré tant du Rocky Horror Picture Show, des comics que de l'iconographie timburtonienne.

Rien ne va plus dans le doux pays imaginaire de Moon Island, dans lequel la Belle au bois dormant, aujourd'hui remplacée par une riche héritière de la Russie bling-bling, sombre inéluctablement dans le vrai sommeil éternel atteinte d'une maladie aussi fantaisistement poétique - elle se végétalise - qu'incurable sauf un miracle inventé par un médecin tout droit sorti d'une nuit d'Halloween : le baiser d'un illustre inconnu anonyme qui répond au nom de Elliot Fall.

Et voilà la marraine-fée looseuse, et gouvernante, qui entame la quête du sauveur dans les bas-fonds de la cité, une quête parsemée d'embûches et de trucidés par le méchant diabolique Comte Oswald Lovejoy.

Sur scène, accompagnés par les musiciens discrètement placés côté cour (Thierry Boulanger, Julien Amedro et Sébastien Mesnil), une distribution doublement judicieuse, tant au niveau de l'emploi que de la tessiture des voix - un sextet non formaté de comédiens-chanteurs dont chacun est doté d'une personnalité affirmée - constitue un cocktail réjouissant et détonnant.

Personne d'autre que Denis d'Archangelo, grandiose maître de cérémonie dans "Le cabaret des hommes perdus", immense succès de l'année 2006 déjà mis en scène par Jean-Luc Revol, et double médiumnique de "Madame Raymonde", pouvait incarner la rombière magicienne sur le retour pour trouver le héros, un adolescent en pantalon court devenu thanatopracteur parce qu'il préfère la compagnie des morts à celle des vivants incarné par le délicieux baryton Flannan Obé et déjouer les pièges du méchant auquel Olivier Breitman ne prête pas que son physique de séducteur.

Multifacettes et également aguerris au théâtre musical, Christine Bonnard fait mouche dans le rôle tant de l'agonisante allumée, l'ourse dépressive que de la fée-nonne alzheimerisée, Sinan Bertrand, époustouflant, entre autres, en loup-garou reconverti en bitumeuse queer.

Quant à la sculpturale Sophie Tellier, ses apparitions en Cendrillon fétichiste des chaussures qui pratique l'auto-érotisme et en Chaperon rouge qui dévoile son petit panier sans tabou dans une performance de stripteaseuse burlesque n'enflamment pas que la scène du Vingtième Théâtre.

Ce spectacle qui joue avec les codes et les registres aussi bien théâtraux, musicaux que fantasmatiques, à l'écriture solide et à la mise en scène rigoureuse, brasse tous les talents des officiants pour dessiner un divertissement de très grande qualité. Incontournable donc.