Jim Murple Memorial se veut, et est, un orchestre populaire de musiciens
aguerris et passionnés qui veulent donner du bonheur aux
gens qui viennent les voir et danser sur leur musique festive issue
du rythm'n blues jamaïcain.
Nous avons tendu le micro à Romain
et Antoine, la guitare au bout des doigts,
pour une trop rapide interview mais une vraie rencontre chaleureuse.
Le groupe existe depuis plusieurs années
et vous bénéficiez d’un bon accueil tant du
public que de la presse. Tous les articles vous concernant sont
toujours élogieux. Donc en liminaire pouvez-vous nous rappeler
un peu les circonstances dans lesquelles Jim Murple Memorial s’est
constitué et avec le recul comment analysez-vous sa longévité
et son succès ?
Romain : Le groupe a été formé
en 1995 autour d’un batteur qui ne fait plus partie du groupe
et qui, malgré tous ses défauts, avait une qualité
il connaissait toute la musique jamaïcaine et la vieille musique
de la Jamaïque avant le reggae. La Jamaïque avait de nombreux
musiciens qui jouaient la musique traditionnelle de leur pays et
qui, en écoutant la radio américaine, le jazz, le
rythm’n blues, ont crée leur musique contemporaine
en intégrant dans leur musique traditionnelle, mento, calypso
et compagnie, des instrumentations plus modernes comme la guitare
électrique et la batterie notamment qui a introduit des standards
rockn’roll. Au départ, c’étaient des skinheads.
Bien sûr pas des extrémistes phalangistes d’extrême
droite mais des gens qui s’identifiaient à une culture
black et qui écoutaient le blue beat en passant par le ska,
le rocksteady, et ensuite le reggae que tout le monde a connu grâce
à qui ?
Toots and the maytals !
Romain : Yes ! Bravo. Bonne réponse. Ce
batteur a décidé de brancher une chanteuse, qui était
une super chanteuse, Nanou, très influencée par le
gospel, le calypso, le jazz associée à un contrebassiste
qui avait une grosse connaissance sur la musique hillbilly, country,
rock mais black, le rythm’n blues, les race music des années
50 qui constituaient les influences de la musique jamaïcaine
et moi-même guitariste influencé par le jazz populaire
et toutes les musiques populaires comme la musique africaine, mexicaine.
Et puis, notre guitariste Petit Louis qui connaît parfaitement
la soul music, Otis Redding, Ike and Tina Turner, Wilson Picket
et qui a un jeu à la Steve Cropper, un son de guitare très
incisif, tranchant avec un instrument très particulier fender
telecaster vox…
Antoine : Le couteau de cuisine
Romain : Le groupe s’est forgé autour
d’un son plus qu’une idée musicale et la culture
de chacun a créé le Jim Murple Memorial. Et c’est
la raison pour laquelle c’est un vrai groupe et que les gens
avant même de savoir qui on était nous ont apprécié
parce que la musique a parlé d’elle-même. Tout
en s’inspirant d’une musique qui existait il y a 30
ans mais qui n’était plus jouée, au moins dans
l’idée de cette époque, par personne.
Antoine : Le son de Jim Murple Memorial n’existe
nulle part ailleurs.
Romain : Le Jim Murple Memorial c’est une
idée d’un orchestre pas d’une voix, de musiciens
qui jouent en regardant leur montre au bout du 3ème morceau.
Tous les gens de Jim Murple Memorial sont concernés par l’envie
de rendre ce présent, qui est triste et aseptisé,
exceptionnel par la musique. Le résultat est là. 7
ans sans aucun support car nous sommes les fils de personne. Et
les compliments ça me fait chaud au cœur.
Toutes vos prestations sont commentées
et de façon très élogieuse.
Romain : Oui. C’est incroyable et dithyrambique.
Vous avez déjà 3 albums à
votre actif qui contiennent essentiellement des reprises. Avec Let’s
spend some love votre 4ème album vous proposez essentiellement
des compositions originales. Pourquoi et pourquoi maintenant ?
Romain : En réalité, le premier album
"Play the roots" ne comportait que des reprises. Le deuxième
"The Story Of Jim Murple" comportaient 2 reprises et 13
compos. Dans le troisième, "Rhythm & Blues Jamaïcai"n,
qui a été réalisé dans des conditions
difficiles en raison du départ du batteur, est un live bien
pêchu avec des reprises de compos du 2ème album et
5 morceaux studio qui sont davantage des adaptations que des reprises.
Car quand je dis reprises ce sont plutôt des adaptations.
Car on ne s’est pas échiné
à reprendre des morceaux existants pour les restituer à
l’identique. Nous les avons adaptés dans un esprit
de musique dansante avec un esprit caraïbe qui transpire. C’est
pourquoi le terme adaptation est plus approprié. Notre version
du standard de jazz "Work song" n’a rien à
voir avec l’original. Il y a juste la mélodie mais
l’esprit, le concept de la chanson même les arrangements
sont différents. Dans le 4ème "Let's spend some
love" il ya 16 compos. Et puis il y a la voix de Nanou…
…qui est exceptionnelle
Romain : C’est une nana qui fait 1 m 53 et
c’est elle la patronne.
Le leader gant de velours ou dictateur (sourire)
?
Romain : Non, non. A sa manière. Elle est
le moteur du groupe.
Antoine : Jim Murple Memorial est un groupe matriarcal.
Vous tournez beaucoup en concerts. Arrivez-vous
à en vivre pour vous consacrer à la musique ?
Romain : Cela fait 3 ans qu’on en vit.
Cela est-il dû à la couverture médiatique
?
Romain : Au début, les gens nous ont fait
confiance surtout en Bretagne et dans le sud-ouest. On nous a donné
notre chance en tant que groupe. Quand on propose quelque chose
de bon et d’original, les gens qui viennent à nos concerts
sont notre meilleur publicité. Ils en parlent à leurs
amis car ils sont surpris par Jim Murple Memorial. Car aujourd’hui
se faire surprendre est la chose la plus chouette.
Comment se passe concrètement l’écriture
des compos et l’appropriation des reprises ?
Romain : Nous travaillons de plusieurs manières.
Parfois l’un de nous arrive avec une chanson avec des idées
bien précises autour de laquelle chacun apporte quelque chose.
Soit on part sur une idée de presque rien et les idées
arrivent. Parce qu’en fait le groupe c’est une culture.
Chacun arrive avec sa culture et du mélange naît le
morceau. Car le leitmotiv de l’orchestre est de créer
une musique pour faire danser.
Vous tournez beaucoup en live. Avez-vous joué
dans les pays ou régions qui sont les terres natales de cette
musique ?
Romain : Non, jamais.
Vous avez dit dans une interview :"Faire
de la musique pour la musique et non pour faire un disque".
Est-ce un discours bien réaliste ? Cela voudrait dire ne
jouer qu’en live et ne pas sortir d’album qui est un
bon support pour faire connaître votre musique et également
source de revenus. Or par ailleurs, vous dites également
vouloir augmenter votre audience pour faire un disque. N’est-ce
pas contradictoire ?
Romain : Premier point. Je précise que je
sais exactement ce que je dis et parfois mes propos sont mal expliqués.
Nous jouons dans le même état d’esprit que les
orchestres formés par les gens qui ont crée cette
musique. C’étaient des frères, des cousins,
des gens qui vivaient dans le même village sans télé
et se retrouvaient le soir après le boulot pour faire de
la musique. Et puis il y a eu des gens qui se sont aperçus
que les moyens modernes de captation et de reproduction de la musique
permettaient de la commercialiser et de faire de l’argent.
Il sont allés dénicher ceux qui faisaient cette musique
et qui n’avaient même pas idée que leur musique
qui appartenait à leur quotidien et à leur manière
de vivre pouvait être figé sur une bande et qu’on
pourrait s’y intéresser.
A partir de ce moment, et il en a été
de même pour Elvis Presley dont le premier enregistrement
a eu lieu à la radio avec deux musiciens brutos qui l’accompagnaient
et qui jouaient "senti". C’était toute leur
culture qu’ils jouaient . C’était pas le genre
prise de tête pendant 4 heures pour trouver un tube. C’était
: "Tu connais That's Alright (Mama) Oui ? Bon c’est parti
!" Tu écoutes ça et c’est un concentré
d’émotion. Nous sommes dans le même état
d’esprit quand nous enregistrons. On ne se branle pas la tête
pendant mille ans pour faire un morceau. On a une idée et
une heure et demie après on a enregistré et on passe
à autre chose. Ce que l’on entend sur le disque est
un témoignage.
Pour exister aujourd’hui, il faut passer
par le support du disque. Après effectivement il faut mixer
pour que la maison de disque s’y retrouve car elle a aussi
ses impératifs économiques. Le paradoxe que tu soulèves
c’est un compromis. Il faut faire un peu de compromis pour
exister car on ne peut pas être radical sur tout. Sinon tu
restes tout seul dans ta chambre, tu ne vois personne et tu dis
: "Je hais le monde".
Antoine : Et on ne peut pas faire ça si
on veut vivre de notre musique.
Actuellement, on perçoit une sorte d’effervescence
autour de votre groupe. Avez-vous une explication pour cet intérêt
soudain ?
Romain : C’est un cheminement. Petit à
petit on s’est fait connaître. Nous vivons aujourd’hui
en Occident dans un monde d’opulence. Nous sommes gavés
d’images, d’information et de musique. Au point où
il ne nous reste même pas assez de temps à vivre pour
écouter toute la musique produite en temps réel. Donc
ce qui se passe c’est la sélection. Et le mode de consommation
de la musique des jeunes aujourd’hui en est une illustration.
Ils s’en foutent de savoir qui fait quoi. Ils écoutent
un morceau, ils disent : "Putain, ça c’est bon
! Et point-barre je prends". Auparavant régnait le star
system. Maintenant les gens n’en ont rien à branler.
Ils peuvent écouter de la techno, du hip hop, du reggae du
moment que c’est bon.
Et si on existe aujourd’hui, et c’est
un peu prétentieux de ma part que de le dire, c’est
que le mariage qui a eu lieu entre les membres du groupe en fait
un vrai groupe. Et puis ce groupe c’est une tragédie
humaine. C’est une vraie histoire qui peut me faire pleurer
avec tout ce qui nous est arrivé, tout ce qu’on a subi.
Nanou est ma femme et nous avons des enfants. C’est notre
vie. Et puis nous sommes des passionnés. Moi c’est
à la vie à la mort. Je peux mourir dans 5 minutes.
Je suis prêt. Je suis là pour passer du bon temps et
donner avec le cœur, pas du cérébral. Et les
gens perdent ce sens du don avec le cœur. Ils sont dans la
dialectique, dans l’anticipation de l’avenir, etc…
Il n’y a plus de cœur et plus d’amour.
Or tu vas crever, c’est la seule certitude. Alors, vis merde
! Vis ta vie, éclate-toi ! Fais ce que tu as envie de faire
! Vis ! Et encore là je suis très aérien parce
qu’on a pas le temps d’aller au fond des choses. Notre
groupe c’est une belle histoire !
Jim Murple, le musicien inconnu à qui vous
rendez un hommage permanent avec le nom de votre groupe a-t-il vraiment
existé ?
Romain : Nous avons entendu parler de lui mais
il n’a jamais rien enregistré. La seule chose que l’on
sait c’est qu’il y avait un collectionneur allemand
qui aurait détenu un enregistrement et une photo de Jim Murple
mais tout a disparu lors de l’incendie de sa maison.
Quel est votre public ?
Romain : 20 ans ! En réalité c’est
tout public. Ce qu’il faut se dire aujourd’hui que les
gens payent une place de concert pour aller écouter de la
musique mais il n’y a pas que la musique qui les intéresse.
C’est aussi rencontrer des gens de leur âge, et peut
être l’amour de leur vie. Ce sont des jeunes. Nous allons
jouer pour la Fête de la musique aux Lilas sur la place du
Général de Gaulle à 22 heures et là
je sais qu’il y aura plein de gens différents. Nous
proposons de la musique pour tout public. Il y a des punks, des
rockeurs, des pépés, des mémés, et tous
ont les yeux grand ouverts : "Qu’est-ce qui se passe
?" C’est tellement évident que c’est génial.
C’est mon manager qui devrait dire ça car je ne suis
pas crédible quand je le dis. On va dire que je suis le manager.
Mais je suis sincère.
En fait, ma question n’était pas
totalement innocente. De manière implicite, elle visait à
savoir si les gens d’origine caraïbéenne venaient
à vos concerts et se reconnaissaient dans votre musique.
Romain : Bien sûr qu’ils viennent.
Et puis le service d’ordre est souvent assuré par des
gens de couleur. Et c’est le kif à chaque fois ! Quand
on a joué à Brie Comte Robert, il y avait deux malgaches
qui nous ont tenu la jambe pendant une demie-heure. D’ailleurs
on les salue s’ils lisent cette interview. Ils sont fans.
Ils ressentent ce que je fais avec mon cœur. On joue sans artifice.
Vous voulez faire une musique vivante, proche
des gens et divertissante. Ce n’est pas pour créer
une oeuvre mais des instants de partage.
Romain : Oui, c’est du direct. Pour moi il
n’y a que le présent qui existe. Ma philosophie est
de dire que le passé appartient au passé et que le
futur n’existe pas encore. Je vis dans le présent.
Même sur scène c’est toujours pareil mais c’est
toujours différent. Le public n’est jamais le même.
Et on vit à chaque fois quelque chose de différent.
Vous avez beaucoup tourné avec d’autres
groupes dans le cadre de festivals. A l’Européen vous
jouerez seul le 15 juillet.
Romain : Nous tournons beaucoup dans des festivals
mais il y a deux-trois ans nous avons fait des salles à Paris
comme le New Morning. Il y a 3 mois nous avons fait la Cigale et
c’était sold-out ! Et c’est quand même
1 300 personnes. Avec le temps, le nom résonne et entre dans
l’inconscient collectif. Je vois les jeunes de 18-20 ans qui
entendaient notre musique quand on a crée le groupe parce
que leur grand frère l’écoutait. Nous faisons
partie de leur culture musicale grâce au disque aussi. Et
on revient au paradoxe soulevé dans une question précédente.
C’est grâce aussi aux concerts. Cette année on
a fait 60 000 kilomètres en sillonnant la France en camionnette
! Je connais le réseau autoroutier français aussi
bien que le réseau métropolitain parisien. Je t’emmène
où tu veux même la nuit avec un seul œil.
Vous faites combien de concerts par an ?
Romain : Entre 70 et 80. Et c’est suffisant
parce nous avons des enfants et on veut les voir grandir.
Comment voyez-vous l’avenir de Jim Murple
Memorial même si l’anticipation ‘est pas votre
tasse de thé ?
Romain : L’avenir, l’idéal pour
moi est de continuer à créer et à jouer de
la bonne musique avec de bons partenaires. De bons concerts d’où
les gens sortent heureux parce qu’on leur a donné du
bonheur. Le spectacle c’est aussi la réciprocité.
Il y a un échange. C’est l’essentiel pour moi.
Si vous ne disposiez que de 3 mots pour qualifier
votre musique, quel serait votre choix ?
Romain : La mer, le soleil et l’amour.
Sea, sex and sun ?
Romain : Oui. Euh non, je rigole. L’amour
ce n’est pas que le sexe. C’est aussi la compassion.
Le sexe c’est un peu sport (rires).
On va dire le soleil, la mer et l’amour.
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