Comédie de Nicolas Gogol, mise en scène de Lilo Baur, avec
Yves Gasc,
Catherine Sauval,
Jean-Baptiste Malartre,
Alain Lenglet,
Clotilde de Bayser,
Laurent Natrella,
Julie Sicard,
Nicolas Lormeau,
Nâzim Boudjenah et
Géraldine Roguez.
Avec l'Année France-Russie, l ethéâtre russe est à l'honneur et cette saison, "Le mariage" de Nicolas Gogol, tout aussi savoureuse que féroce tragi-comédie sur la tyrannie sociétale de l'institution du mariage, donne lieu à deux présentations enthousiasmantes.
Après la version russo-russe du Théâtre National Académique Yanka Kupala de Minsk accueilli en septembre au Théâtre de la Ville, celle dispensée par la metteuse en scène suisse Lilo Baur formée au théâtre anglais qui, guidée par le souci du respect tant de la lettre que de l'esprit du texte, pratique un syncrétisme dramaturgique tout aussi personnel que réussi sans verser dans la russification redondante ni la transposition contextualisée.
S'arcboutant sur le fantasque de la farce, le burlesque du réalisme social et la mécanique du rire labichienne de cette folle journée de course au mariage sans omettre le regard profondément humaniste de Gogol sur ses contemporains, petits humains aussi touchants que pathétiques, elle monte avec une intelligence rare ce que ce dernier qualifiait lui-même d'aventure parfaitement invraisemblable en deux actes.
Car l'intrigue est mince et le dénouement inattendu. Kapilotadov, fonctionnaire endurci dans le célibat et indécis chronique, se laisse embobiner par une marieuse puis par un ami faustien pour concourir à l'hyménée avec une jeune vielle fille, un peu infantile
mais beau parti au plan pécunaire. Triomphant des autres prétendants par la dot alléchés, la mariage s'annonce bien mais, au dernier moment, il prend la poudre d'escampette laissant la demoiselle stupéfaite transformée par Lilo Baur en vierge d'assomption dans une scène d'épilogue saint sulpicienne particulièrement saisissante.
Basée sur une technique corporelle millimétrée, cette drolatique course au mariage en costumes, des costumes d'un 19ème siècle revisité dans un esprit graphique à la Daumier par Agnès Falque, se déroule dans un judicieux décor sur pivot à deux faces, féminin et masculin, qui symbolise l'étanchéité de ces deux mondes, conçu par James Humphrey, selon un rythme soutenu avec quelques emprunts cinétiques soutenus par les lumières de Christian Dubet.
Pour restituer la couleur vériste des personnages lestement épinglés par Gogol sans forcer le trait et leur donner chair, Lilo Baur a choisi dans le grand "catalogue" du Français, et parfois en contre-emploi, une distribution épatante qui pétille de talent sur scène et oeuvre au diapason.
Catherine Sauval en tante émancipée et Géraldine Roguez, en petite bonne, entourent l'ex-futur mariée à qui Julie Sicard, avec une incroyable longue chevelure à la Raiponce mais qui ne lui sera d'aucune utilité, donne une allure d'héroïne de conte populaire.
Bien dirigé, Nâzim Boudjenah, juste et sobre, s'insère dans une brochette de croquignolets prétendants que les comédiens croquent à belles dents : Yves Gasc, vieux marchand rondouillard, éméché et libidineux, Alain Lenglet, ex-loup de mer radoteur et trivial, Jean-Baptiste Malartre, officier précieux d'opéra bouffe et Nicolas Lormeau en huissier gonflé d'orgueil à en faire pêter ses coutures.
Se taillent la part du lion les deux manipulateurs : l'élégante et gracieuse Clotilde de Bayser qui troque le vertugadin et le langage châtié de la Philamine des Femmes savantes pour le généreux popotin et la harangue des faubourgs de la marieuse rubiconde et Laurent Natrella épatant dans le personnage de l'ami bon conseiller qui ressemble au renard du Pinocchio dysnérisé.
Du beau théâtre. |