Comédie dramatique de Bertolt Brecht, mise en scène de François Orsoni, avec Mathieu Genet, Alban Guyon, Clotilde Hesme, Tomas Heuer, Thomas Landbo, Estelle Meyer et Jeanne Tremsal.
Baal est un poète. Baal est un ivrogne. Baal est un jouisseur, un trousseur avide de sensualité, un ogre sexuel, un voleur, un tricheur, un consommateur de femmes, sans moral, et qui ne s’embarrasse pas des conséquences de ses actes.
Un personnage dérangeant en somme, qui vit sa vie comme une longue déchéance dans une quête absolue et autodestructrice du beau. Du bonheur ? En quelque sorte. Il y a du Verlaine, du Rimbaud dans Baal. Mais aussi l’horreur d’une humanité à l’aube d’une guerre qui ne sera qu’un vaste charnier.
Pour aborder ce personnage d’une grande complexité, François Orsoni, le metteur en scène, a voulu donner le rôle à une femme en la personne de Clotilde Hesme, bouleversante et juste. C’est sa manière à lui de manier avec une certaine ironie distante le monstre apocalyptique, la brute subtile imaginée par Bertold Brecht.
Dans la peau de Clotilde Hesme, la sensibilité du personnage est évidente, sa fragilité exacerbée. On lui pardonne d’être odieux, gênant, inquiétant. On assiste avec d’autant plus d’écœurement à sa fuite en avant, cette espèce de glissement incessant vers une chute plus que certaine.
La mise en scène est parfois déroutante. Pour traduire la vie chaotique de Baal, François Orsoni n’a pas hésité à aborder son histoire sous forme de scènes juxtaposées, sans réels liens les unes avec les autres, sans véritable logique narrative. Sa volonté et de ne pas se cacher derrière le texte, de ne pas tirer de conséquences trop hâtives sur le cas Baal. Encore et toujours de mettre une distance entre lui et ce personnage.
Il laisse ainsi libre court à toutes sortes de fantaisies, pour faire vivre un univers plus qu’un écrit. Dans une ambiance orgiaque, une fin de soirée perpétuelle, jonchée de glace fondue et martyrisée, de verres et de sueurs, les sept comédiens (Mathieu Genet, Alban Guyon, Clotilde Hesme, Tomas Heuer, Thomas Landbo, Estelle Meyer, Jeanne Tremsal) jouent, chantent, dansent, copulent et déclament aussi : des tirades si belles et si poignantes qu’on se demande comment un tel chaos a pu engendrer autant de beauté et de poésie.
A sept ils interprètent l'ensemble des rôles, jouant donc plusieurs partitions, changeant de costumes à vu, mélangeant allégrement les identités et les genres.
Tomas Heuer a composé pour le spectacle des chansons emplies de précarité, d’urgence, à la fois primaires et crues. On se demande parfois à quoi servent ces ajouts musicaux, mais comme pour tout le reste de la pièce, il ne faut pas juger trop hâtivement. Tout est histoire d'atmosphère et de ressenti.
Confusion, distanciation, refus d'une certaine forme d'intellectualisation... "Baal" nous échappe, à nous spectateur, et pourtant il semble là, offert, sans artifice. Telle est la partition jouée par François Orsoni.
Cela donne un spectacle qui s'écoute non pas avec la tête mais plutôt avec le ventre, les tripes, à l'image de son protagoniste. |