Initialement la BD, ce n’est pas pour les filles. Vous pouvez le constater aisément en tournant les pages des best-sellers du neuvième art où bien souvent des femmes légèrement vêtues arborent des poitrines imperceptiblement démesurées. Ces courageuses ne semblent pas connaître le froid, ni les pyjamas en pilou ou les doudounes calfeutrantes qui vont avec.
En gros jusque récemment, la BD était faite pour faire rêver une moitié de l’humanité et coller des complexes à l’autre. Mais depuis peu, les rayons des librairies sont envahies de BD dessinées et écrites par des filles (Penelope Bagieu, Margaux Motin, Nine Antico…) et il semblerait que tout le monde adore… Elles s’adressent principalement à leurs congénères du même sexe et à leurs problèmes récurrents (régimes, fringues, histoires de cœur…) et bien souvent avec humour et sagacité. Je profite de cette embellie pour les filles de la BD pour vous faire découvrir des auteures plus confidentielles et aussi plus alternatives qui officient depuis plusieurs années sans que la presse féminine ne les ai jamais sollicitées pour illustrer leur dernier test "psycho".
J’ai choisi ces auteures car elles défont sciemment ou non les codes de la représentation féminine dans notre société. Un souffle de liberté qui fleure bon le féminisme que certaines d’entre elles revendiquent d’ailleurs ouvertement.
Shelter Chantal Montellier (Les Humanoïdes Associés, janvier 1980)
Chantal Montellier est l’une d’elle, une militante. Son œuvre est clairement un acte politique artistique se dressant contre le sexisme et plus largement contre toute forme d’autorité. Publiée dès les années 1970 dans les revues BD Ah Nana !, Métal Hurlant et A suivre, on la reconnaît aisément par un dessin rappelant les tags réalisés au pochoir sur les murs de nos villes. Son trait est froid, presque rigide servant ainsi à merveille le climat d’oppression omniprésent dans ses œuvres.
Si vous voulez une grosse claque, je vous invite à lire Shelter. Suite à une explosion nucléaire, des milliers d’individus sont condamnés à survivre dans un Centre Commercial dont les portes blindées les protègent des ondes mortelles. Pourtant, l’ennemi est à l’intérieur, la Direction installe une organisation politique totalitaire dont les femmes sont les premières victimes.
Sorcières, mes sœurs Chantal Montellier (La Boîte à Bulles, septembre 2006)
Dans Sorcières mes sœurs, Chantal Montellier revient sur les destins de ces femmes singulières et nous fait cette fois-ci la preuve par la réalité historique de l’extrême violence de notre société contre les femmes et à travers différentes époques parfois très proches de la nôtre.
Les auteures suivantes n’ont pas connu la vague féministe des 1970’s et ne revendiquent rien si ce n’est la liberté d’être inconvenantes voire parfois inélégantes, souvent drôles et toujours franchement libres.
Ciboire de Criss ! Julie Doucet (L'Association, 1996)
A l’image de Julie Doucet, une canadienne francophone qui ne manque pas de mordant. Dans ses œuvres aux noms aussi évocateurs que Dirty Plotte ou Ciboire de Criss ! (je vous laisse découvrir la traduction tout seul), Julie Doucet nous fait part entre autres de ses rêves (mémorable épisode où transformée en Julie Godzilla elle inonde la ville de ses règles), de ses cuites mémorables, de ses histoires de cul pas franchement génialissimes. Mais elle nous offre aussi de récits biographiques plus intimes ainsi que des petits contes qui fricotent souvent avec le surréalisme. Son œuvre tangue entre esprit Punk et poésie servie par un dessin noir et blanc dense en détails qui n’a rien à envier à Max Anderson.
Rock, Zombie ! Tanxxx (Les Requins Marteaux, 2004)
En parlant de noir et blanc, nous avons en France un maître en la matière : Tanxxx qui, en plus de ses BD, produit un nombre incalculable d’affiches hallucinantes pour des concerts de Punk. Son dessin d’un noir et blanc intensément contrasté nous envoie un vrai coup de boule esthétique. De la même manière ses personnages féminins sont irrévérencieux, des Tank Girls en plus hargneuses. Dans Rock, Zombie ! par exemple, une illustratrice d’affiches Punk au caractère bien trempé assiste à un concert où le public se transforme tout simplement en Zombie, le carnage est de toute beauté.
Les Allumeuses Cha (Casterman, novembre 2007)
Enfin je finirai par l’histrion (-ne) de la bande Cha ! Cha dessine sa vie depuis 2005 dans son blog "Ma vie est une bande dessinée", depuis on comptera aussi deux BD : Les allumeuses et Oh ! Merde ! Et y a pas à dire, avec Cha on se marre bien… Ca carbure à la bière, aux végétaux (la Miss ne mange pas de viande) et au Punk. Le Punk est d’ailleurs la trame de fond de son œuvre, Cha a la même drôlerie qu’un Wampas, la même gouaille qu’un Guérilla Poubelle et son trait en a la même énergie. Vous comprendrez rapidement qu’ici, il n’est plus question d’escarpins hors de prix mais de grosses Rangers bien dégueues qui ont fait leurs armes dans les festivals Punk boueux de France et de Navarre. Et entre nous, moi aussi comme Cha et Jane Birkin, je préfère patauger dans la Gadoue... |