Voir une bibliothèque comme un musée, un lieu sacré où reposent les œuvres littéraires des grands auteurs qui, par leur plume et leurs talents, ont durablement marqué l'histoire. C'est le souhait d'André Brincourt qui, dans son essai Littératures d'outre-tombe, rend hommage aux écrivains du XXe siècle. La particularité des ces auteurs (au nombre de cent cinquante) de toute nationalité ? Ils ont quitté le monde des lettres, voire le monde tout court, pour rejoindre le Panthéon littéraire mondial. Pourquoi ce choix d'écrivains décédés ? "On aimerait penser que l'écrivain encore en vie est l'auteur d'une œuvre encore en chantier. Laissons le vivre. Et saisissons les disparus aussi vivement que possible. A côté de leur ombre. Et plus sûrement dans leur vérité" souligne André Brincourt dans sa préface.
Une bibliothèque de disparus peut résonner comme un concept sinistre, mortuaire. Il n'en est rien. L'hommage que rend André Brincourt aux disparus des lettres est vibrant, sincère, poétique dans son approche et particulièrement référencé dans son analyse. Et de tenter de répondre à une question "Dans quelle mesure, à quel prix, dans quelle vérité ou par quel malentendu, la mort d'un écrivain justifie-t-elle, confirme-t-elle son œuvre ?". Ces réponses se trouvent outre-tombe, dans le parcours et les œuvres de ces grands noms du XXe.
Jean Anouilh n'était qu'un simple misanthrope ? Non, il est venu sur terre et sur scène pour "régler ses comptes (…) la chienne de vie l'avait mordu assez tôt pour qu'il estime ne devoir s'exprimer qu'en son propre nom". Et transformer ainsi son théâtre en un impitoyable jeu de société, mais pour mieux nous apprendre l'humilité, "comme si la vraie conquête de l'innocence n'était jouable que dans la fange".
Aragon, le poète engagé ? "Il a traversé son époque un miroir brisé à la main. Un miroir enchanté, mais un miroir brisé, cherchant à se connaître et à se reconnaître dans un puzzle sans cesse dérangé". C'est parce qu'on est toujours le "juif de quelqu'un" que Saul Bellow a toujours refusé d'être étiqueté ainsi. "La véritable attitude de Saul Bellow consiste probablement à être juif pour lui même et non aux yeux des autres. Plus il écrira, plus il assumera son mosaïsme". Ce qui définit l'écriture rageuse de Léon Bloy, c'est "cette conscience prise et si fortement tenue de la dignité du pauvre, sacrifiant tout son seul droit – le droit de parole, le droit de provoquer le ciel et d'engager le dialogue dans le tonnerre, le droit d'exiger la réponse".
L'œuvre de Céline est-elle dissociable de ses égarements ? "Non, ne dites pas : Oublions les errements politico-fangeux, Céline reste un prodigieux manieur de langue... Mais non, si l'on oublie, il ne reste plus rien ni personne, et surtout pas un écrivain". Au-delà de l'image d'écrivain du sud, Faulkner était "un grand primitif serviteur des vieux mythes, il nous presse de reconnaître l'innocence bâillonnée, l'humble et terrible plainte d'une humanité qui refuse l'asservissement mécanique, la technologie diabolique qui vient du nord, comme un vent glacé".
Pourquoi Kafka ne souhaitait pas voir ses œuvres publiées ? L'interprétation qui allait être faite. "Kafka un jour est devenu kafkaïen. Et le monde allait bientôt ressembler à ses romans qui mettaient en évidence l'architecture de nos cauchemars modernes". Et sur quoi repose toute la morale de Sartre ? "Sur l'axiome qui définit et fixe dans ses limites la liberté de chacun : assumer la responsabilité au second degré - à défaut d'être responsable de ce que l'on fait, l'être de ce que l'on a fait de vous".
Et parmi tous ces noms figurent également Proust, Hemingway, Prévert, Woolf, Freud, Joyce et tant d'autres. Certes, on pourra toujours pester contre certaines absences (Bazin, Hesse O' Connor, Fournier) mais certainement pas devant l'érudition de l'auteur et la passion qui anime sa prose. André Brincourt est bien plus qu'un amoureux de la littérature, il la fait revivre et la sublime. |