Il y a ceux qui adorent les Bandes Dessinées, il y a ceux qui détestent les Bandes Dessinées, et il y a les intellos qui jurent que la BD est un sous-genre, qu’un livre est un petit bloc de pages avec des lettres partout et surtout, mais alors surtout pas d’images…
N’en déplaise aux académiciens, la BD à la française nécessite de longues et minutieuses heures de travail, et une parfaite coordination image-texte, plus une coloration, plus une impression sur presse de romans. A différencier des Comics ou Mangas, dessinés sans filet, produits plus souvent, imprimés plus facilement sur du PQ recyclé (comme les journaux), et aussi plus accessibles aux petits budgets.
Bref, l’exception française je disais, mais pas la même exception française que pour le cinéma français. Ok j’y viens. Ici, pour La Pire Espèce, il y a un scénariste, un journaliste, deux dialoguistes, des dessinateurs et des coloristes, comme au ciné, donc : Rickard Malka, Agathe André, Ptiluc, Tiéko, Jacqueline Guénard, les mêmes que La face cachée de Sarkozy (ça donne le ton comme ça).
L’histoire commence là où toute histoire commence : la Création du Monde par le Grand Manitou là-haut, peu importe son nom. Celui qui a un jour décrété que les humains devaient illico être transformés en nourriture pour poissons, qui a choisi un brave Noé expert en construction d’insubmersible, lui a filé un cahier des charges, ainsi qu’un CDD pour construire une arche divine, dans laquelle caser une paire de chaque espèce animale de la Terre et sauver la planète.
Enfin presque, parce que le Noé de l’histoire a un petit souci, il ne peut pas caser tous les animaux dans son arche. Ben Laden (un barbu en turban, je n’en connais pas d’autre) lui conseille d’accrocher une barge au bateau. Problème : la corde casse pendant la tempête, et ces animaux se retrouvent isolés sur une île au milieu de nulle part.
Sur cette île vivent tout un tas d’animaux, parmi lesquels une espèce de Bonobo, dont fait partie la famille Badin, et la petite Bonie Badin, atteinte du virus Zarako qui "fait dire n’importe quoi à ceux qui le contractent, les malades qui en sont atteint ne s’expriment plus que par citations". Une seule solution pour soigner Bonie : atteindre le Vénéré Bonzaï qui se trouve bien évidemment complètement à l’autre bout de l’île.
Et c’est parti pour la quête, pendant laquelle Bonie et son papa croisent des oiseaux journalistes "qui répètent sans vérifier, des autruches qui vivent dans leur certitudes…", des hyènes féministes "avec leurs cri strident, certaines terrifient leurs adversaires : les mâles", des cochons politiques, les loups philosophes "à ne pas confondre avec les chacals", les paresseux écolos-warrior, des ânes gauchistes, les hippopotames banquiers, des pitbulls fachos et des lézards qui "passent leur temps à dédaigner leur époque et leurs congénères".
Pas la peine de tourner autour du pot plus longtemps, La Pire Espèce est un cynique pastiche de notre société, truffé de citations philosophiques et syndicalistes (listées et réattribuées à leurs auteurs en fin d’ouvrage). Chaque mouvement de pensée, chaque comportement est brossé à l’extrême, où chaque espèce s’enfonce dans ses convictions, sans se rendre compte du ridicule dans lequel il se trouve.
Une BD savoureuse, à prendre à un degré lointain, moqueuse et cynique à souhait, mais jamais méchante, ni déplacée. |