"Le dernier grand album avant le virage mainstream". C’était en peu de mots la conclusion du journal rock qu’on feuillette désormais chez le coiffeur – Rock & Folk, what else ? – sur le troisième album des New-Yorkais. Autant dire que si la chute n’était pas vertigineuse, le constat pouvait faire imaginer le pire.
Quatre ans plus tôt, leur Robbers & Cowards s’était pourtant imposé comme un hold-up qui nous avait tous braqué. La rage, l’énergie de ces enfants de la guerre froide – déjà le nom du groupe, génial résumé de l’époque – les avait poussés sur le devant de scène qu’on ait le temps de comprendre qu’il faudrait compter avec eux pour la décennie suivante. Suivant la même direction, entre barbelé électrique et refrains bien ciselés, Loyalty to loyalty portait bien son nom ; et le célèbre tournant du deuxième album avait été abordé avec prudence, adresse et surtout concision. Rien qui, pour conclure l’introduction, ne puisse laisser présager d’un retournement de veste en cuir.
Premier indice sur Mine is yours, troisième du nom : le producteur. Jacquire King, un homme certainement bien sous tous rapports, sûrement le genre à payer ses impôts à l’heure et mettre deux sucres dans son café, enfin bref, un producteur à l’américaine comme il en existe tous les deux pâtés de maison. En fouillant le pédigrée du bonhomme, plusieurs noms de groupes font pourtant tiquer : Langhorne Slim, Norah Jones ou bien encore les Kings of Leon, pour leur dernier Come Around Sundown dont on sait aujourd’hui qu’il aura surtout permis aux trois frères Duke de se reconvertir top models de chez Gucci après une carrière commencée tels des gentlemen farmers.
Trêve de bavardage, le lecteur se gratte sans doute la tête en se posant la question essentielle : "mais bordel, il est bien ou pas ce disque" ? Non, sans hésitation. Décevant n’est même pas à proprement parler le bon mot lorsqu’arrivé à la sixième piste ("Skip the charades") on peine encore à déceler un dessous de mélodie, un semblant de composition qui permettrait d’éviter la sentence suprême des bacs à soldes.
Passée dans la cour des "grands", la bande à Nathan Wilett prouve ici que deux albums au dessus de tout soupçon n’empêche pas de vendre son âme à Satan – pardon, MTV – dès lors que les intérêts commerciaux prennent plus de place que les partitions. Au-delà du procès d’intention – on n’a rien contre le mainstream, de prime abord – Cold War Kids débute son album par un titre éponyme fadasse qui rappellera aux plus vieux – eh oui, déjà – l’évolution de Coldplay dès son troisième album. L’omniprésence de faux tubes surboostés à la compression, de vagues échos sur le piano et un chanteur qui braille désormais comme si sa vie en dépendait – c’est du moins ce qui est inscrit sur son prompteur, Mine is yours semble ici prendre l’orientation des groupes venus de Brooklyn en insufflant de l’Afrique là où on les avait jusque là remarqués pour leur héritage post Reagan. Et l’auditeur dépité de subir des emprunts à Vampire Weekend, des mélodies entonnées à gorges déployées, puis de constater le regard en berne que les New-Yorkais semblent désormais plus attirés par le charme des stades et U2 qu’une carrière respectable dans l’intimité des clubs en sueur. Une grande déception donc.
Et plutôt que d’enfoncer le clou, au risque de paraître acharné et d’attirer la sympathie sur ces gamins matraqués, le critique de conclure que deux albums au dessus du niveau de la mer, c’est déjà pas si mal. On note, sur ce troisième méfait, quelques pistes qui évitent la noyade, comme "Louder than ever" (le titre en dit bien long sur l’état d’esprit) ou "Cold toes on the cold floor" ("des doigts de pied gélés sur le parquet froid", dans le texte) ; mais c’est hélas bien peu pour tenter de repêcher le Titanic des maraboutés. Et puisque ce disque raté nous y invite, que tout qui est à toi est à moi, autant inverser les mots écrits par d’autres : "le dernier album mainstream avant le grand virage". Une grosse claque en forme de punition, c’est après tout ce qu’on souhaite à Cold War Kids. Se ressaisir enfin, pour éviter la maison de correction. |