On peut ne pas se sentir en adéquation avec les dernières évolutions des Inrockuptibles, grands pourvoyeurs de ce que l'on pourrait considérer comme une contre-culture indé de masse aux postures et systématismes agaçants, dans laquelle, revenu de l'émerveillement adolescent, on ne se reconnaîtrait plus ; on n'en devra pas moins saluer leur capacité réelle à porter sur le devant de la scène la plus proche de chez soi des groupes que l'on aurait justement eu envie d'y voir – parfois sans même le savoir.
C'est ainsi que l'on aura eu le plaisir jeudi 17 février de voir s'afficher au club de l'Aéronef de Lille les anglo-gallois de The Joy Formidable en compagnie des sympathiques Dodoz. Pour ouvrir la soirée, on aura même pu rencontrer les très jeunes Divine Paiste (ne cherchez pas, cela ne semble rien signifier), histoire que le curieux ait de la découverte pour son argent.
Sympathique prestation pour ces derniers, même s'il est clair qu'un peu d'assurance doit encore être trouvée, notamment du côté de la voix, dont les aspérités parfois rocailleuses sont prometteuses, mais qui manque encore d'amplitude, de profondeur. Les compositions louchent vers un rock façon Bloc Party, Artic Monkeys, Kooks ou pourquoi pas Foals – avec un peu de courage, ils pourraient même sans grand effort pousser plus loin encore, vers des folies à la Battles ; mais pour l'instant, les jeunes tourangeaux restent sages ; c'est de leur âge, ils passent à peine la vingtaine. Très ancré dans les sonorités du siècle, le son du groupe manque certainement encore d'une personnalité vraiment propre, mais parvient à obtenir une sympathique adhésion du public, qui ne se trompe pas et réagit volontiers aux meilleurs moments du set.
Ce sont les Dodoz qui semblent ce soir-là avoir rempli la salle, le public lillois ayant même réussi par moment à perdre peu de son calme habituel. C'est qu'il est difficile de rester de marbre face au rock tout de célérité et de nervosité des quatre toulousains. Mâtinée d'un punk façon Pixies (c'est-à-dire : d'un surf-punk plus intelligent qu'il ne le revendique), très garage dans l'esprit, quoique très efficacement écrite dans ses structures et ses articulations, la musique des protégés du producteur Peter Murray fait mouche auprès du public du club, jeune et visiblement conquis d'avance. Un succès scénique qui confirme plusieurs années de réputation grandissante pour le quartet, dont on devrait logiquement voir le nom grossir sur les affiches des salles de spectacle – surtout si le troisième album à paraître prochainement (Forever I Can Purr, prévu pour mars 2011) confirme sur disque tout le bien que le public en pense déjà sur scène.
Après un EP huit titres (A Balloon Called Moaning, 2009), The Joy Formidable a publié le 24 janvier dernier son premier LP, l'assez bien nommé The Big Roar ("le grand rugissement"). On y retrouve plusieurs titres déjà connus et les nouveautés prolongent parfaitement le travail entamé il y a quelques années dans le champ d'un rock épais, orienté shoe-gazing, voire noisy-pop mais sans le côté un peu rétro du son (ce que l'on nomme parfois nu-gaze), ce qui n'exclut pas, pour une fois, une certaine chaleur, une certaine rage, particulièrement palpable sur le visage, expressif, de la chanteuse / guitariste.
Sur scène, la formule s'avère parfaitement payante, malgré une désaffection relative du public, certains n'étant venus semble-t-il que pour les toulousains de Dodoz – à moins que la partie la plus jeune du public n'ait été victime d'un couvre-feu parental ? Certainement est-ce aussi qu'il y a quelque chose de plus adulte dans l'approche des Joy Formidable, de moins naïf. Sans précipitation, prendre le temps de la force et de la vitesse, c'est à dire : de la puissance. Des titres comme le très singlisable "Austere" ("oha-oh-oho, oha-oh-oho...") auront montré toute l'efficacité pop que le trio sait atteindre, quand un final apocalyptique et le refus d'une cérémonie de rappel éculée et vide de sens auront confirmé toute la radicalité de la formation. Une formation à suivre ou à découvrir, sur disque comme à la scène. |