On ne va pas se mentir, la chanson française c’est un peu comme un restaurant à volonté, c’est indigeste et écœurant à la longue. Néanmoins si tout semble insipide dans la bouche, il y a toujours une saveur inattendue qui vient se poser sur la langue. Il est question de cela ici !
La langue donc , premier Lp de Arlt fait partie de ces disques inespérés.
Un peu d’histoire d’abord, Arlt est un duo composé de trois personnes. Il y a Eloise Decazes (chant) , Sing Sing (guitare/chant) et Mocke du groupe Holden (guitare sur album et parfois en live), qui a d’ailleurs, soit dit en passant, produit l’album.
Ce qui frappe dès la première note c’est le jeu de Sing Sing, guitariste minimaliste et complexe, rappelant un peu la singularité de Dick Annegarn, certes, mais en plus blues au niveau rythmique, avec une finesse proche de la bossa nova, avec en prime un coté extra terrestre, et donc, forcément moins belge.
Puis l’on découvre la voix d’Eloise Decazes, sublime, chanter le language des anges que Sing Sing lui écrit (à part "Une Joie" et le splendide "Revoir La Mer" entiérement écrit par celle-ci).
Les paroles sont un peu tristes, parfois drôles et surtout surréalistes. D’ailleurs ce qui est bien dans le petit livret qui accompagne le disque, c’est qu’elles sont écrites. Oui, mais de manières brute, imprimées sur papier comme elles ont été pensées, soit sans ponctuation ni autre repère, comme dans un livre de Joyce.
La chose commence sur le tubesque "La rouille" , qui permet d’oublier en quelques secondes l’incroyable nombres de tâcherons que la variété nous inflige depuis tant d’années. Et c’est tant mieux, même si les oiseaux en pâtissent sur "Après quoi nous avons ri". L’intro bossa nova de "La honte" rappelle avec fierté l’excellente Rita Lee, pendant qu’au sommet du "Château d’Eau" la batterie jazzy de PJ Grappin fait son apparition. "Les dents" est une merveilleuse ballade ectoplasmique, l’impeccable solo de Mocke semble être une ode à la mélancolie provoquée par le départ d’une foire aux manèges.
Puis vient "Une joie" avec ses chœurs finaux aussi beaux qu’effrayants. "Revoir la mer" est une chanson étonnante où Eloise répète la même phrase deux minutes durant, la répétition semble faire écho au cycle des vagues et le fond sonore free limite bruitiste évoque les tempêtes maritimes avec la batterie de travers ; on peut entendre là un naufrage sentimental qui finit par ressusciter de beauté violente. "De haut en bas" est la plus belle chanson de rupture qui soit et tout en délicatesse. "Je voudrais être mariée" est un chef d’œuvre, une chanson parfaite, avec une impressionnante performance vocale qui vient réellement des tripes, un rythme primaire et médiéval qui peut éventuellement donner une idée du coté sombre de l’acide, et un solo ahurissant aussi précis que Sterling Morrison avec un rasoir électrique. On pense en premier lieu, sur ce morceau, au duo Fontaine / Areski, mais il n’en est rien, Arlt impose avec brio son propre univers, bien loin finalement des expérimentations orientale de ces deux-là !
Moins Sombre, "Lettre morte" rassure, et se construit progressivement tout au long du morceau, grâce à la batterie et au mariage des deux voix. L’album s’achève sur "Que se passe-t-il" et son intro très entrainante qui incite et invite à la danse éthiopienne. La chanson s’arrête soudainement, frustrant légèrement et donnant envie de remettre le disque depuis le début, ce qui est également le point A d’une nouvelle dépendance.
Toujours est il que vous n’aurez pas besoin de faire tourner 7 fois "la langue" sur votre platine pour être conquis, en espérant que cette dernière soit bonne et qu’elle ne fourche point. Et si vous n’êtes pas convaincus, allez vous faire foutre ! |