La soirée fraîche et humide n’incite pas à rester dans la rue et le programme de la Maroquinerie promet la célébration du Rock. Beaucoup d’amateurs du genre sont donc présents et remplissent cette agréable salle de spectacle.
Près de l’entrée de la salle, j’entrevois dans un coin le stand où sont proposés plusieurs articles de Tigerman (t-shirts, CD, vinyles, DVD) et deux ou trois disques d’une certaine Rita Redshoes qui ne figure pas au programme, ce qui me fait penser que l’homme tigre est peut-être la principale attraction de cette soirée.
Vers 20h, l’américain Jake La Botz monte sur scène et fait une véritable dissertation sur les origines rurales et américaines du Rock. Avec sa guitare acoustique il forme une équipe séductrice et virtuose, lui avec sa belle voix rauque rappelant John Cougar Mellencamp, elle évoquant ses congénères qui accompagnent Ry Cooder ou Neil Young. Avec sa chemise à carreaux, sa belle gueule hollywoodienne et son accent américain, Jake incarne à la perfection le cliché du rockeur country-blues qui raconte les histoires de sa terre avec émotion. D’ailleurs, en présentant les morceaux qu’il joue, il communique pas mal avec le public. Ce dernier est réceptif, mais on sent que ce n’est pas Jake qu’il attend. Et c’est donc dans une ambiance réchauffée que l’artiste sort, en laissant un public prêt juste à point pour recevoir le suivant.
Bloodshot Bill vient du Canada, il est grand, a de l’embonpoint, et a beaucoup de gomina dans les cheveux. Il se présente accompagné d’une guitare électrique avec les ouïes en f et d’une petite batterie à pédales. On dirait un rockabilly. Bien qu’il joue assis comme Jake La Botz, sa performance en est complètement l’opposé. Alors que Jake restait langoureusement assis sur sa chaise, Bill a l’air d’un enfant hyperactif à qui on demanderait de rester assis dans une salle d’attente. Dès le premier morceau, il gesticule, change successivement et brusquement de voix, secoue la tête en faisant balancer ses cheveux à l’aspect humide, joue et chante dans un rythme frénétique. Le public est séduit par ses interprétations vocales qui oscillent constamment entre Elvis Presley, la souris Speedy Gonzales et le monstre des gâteaux Macaron (de Rue Sésame). Nous sommes en présence d’un rocker rockabilly. La séparation est affectueuse sans excès de sentimentalisme et ceux qui sont à la Maroquinerie sont contents.
Il est dix heures passées lorsque apparaît sur un écran au fond de la scène le logo The Legendary Tigerman et que les lumières s’éteignent soudain dans la salle. Le portugais légendaire Paulo Furtado entre et présente sa première partenaire virtuelle : Asia Argento surgit de l’écran et on écoute leur duo "Life Ain’t Enough For You", premier morceau de son dernier disque Femina. Paulo montre depuis le début sa vision particulière du rock, un truc énergiquement intimiste, éventuellement psychédélique où la sensualité et la technologie sont les bienvenues. La performance se déroule tout le temps autour des guitares vigoureuses que Paulo manie sensuellement, aidé par deux synthétiseurs de voix et par une mini batterie à pédales. Avec ses invités en chair et en os – d’abord Clàudia Efe et ensuite Rita Redshoes – il offre aux spectateurs les moments les plus sensuels de la nuit, et les conquit définitivement. Sa représentation est basée sur des musiques de Femina, album de duos avec plusieurs chanteuses de différents pays. Il n’est donc pas surprenant de voir apparaître en toile de fond la deuxième invitée virtuelle de la soirée : Lisa Kekaula, de Bellrays, pour co-interpréter le superbe "The Saddest Thing To Say". A la fin de sa représentation, le public applaudit généreusement et est satisfait. Certains le sont tellement qu’ils décident de rentrer à la maison car demain il faut aller travailler.
L’heure tardive (il est onze heures passées) et le départ d’une partie du public ne suffit pas à décourager les prochains Monotonix, qui auraient été interdits de certaines salles de concert dans leur Israël natal. Il s’agit d’un trio dont l’apparence physique rappelle celle des américains ZZTop avec une particularité : leur tenue consiste en un caleçon de sport, un t-shirt (ou rien) et des tennis. Leurs instruments se résument à une petite batterie et une guitare électrique et le trio dédaigne le système de son de la Maroquinerie en installant leur deux ampli de garage. L’excentricité ne s’arrête pas là. Vu qu’il y a de la place dans la salle, ils s’installent avec la batterie dans la fosse au lieu de la scène. Dès qu’ils commencent à jouer, ils déclenchent une révolution musicale qui entraîne une partie du public dans une transe jungle/grunge/gore dans laquelle le chanteur Ami Shalev est le shaman. Il pogote avec les spectateurs provocant une vague de danse libertaire et hallucinée qui surprend par sa vitesse de propagation. Le chanteur déambule partout dans la salle suivi des jeunes les plus allumés avec lesquels il interagit énormément, en leur donnant jusqu’à la possibilité de jouer sur les timbales. Le show est extravagant et flirte avec l’extrême, dès que Ami Shalev réussit à se procurer de la bière, il en asperge le batteur et lui-même. Le son est jungle-hard-rock, mais le spectacle est visuel.
Lorsqu’ils terminent, je fais un bilan de cette nuit de l’aligator et je sens que les 19,00€ nécessaires pour entrer ce soir à la Maroquinerie représentent le meilleur rapport qualité-prix-spectacle des derniers mois à Paris, pour un amateur de rock. |