L’histoire de David Bowie est aujourd’hui si familière pour ses millions de fans à travers le monde, toutes générations confondues, qu’elle est devenue mythe, folklore, fable. Ce qui nous est conté est souvent stupéfiant (surtout au sens propre) et souvent misérable (personnellement et professionnellement) : on en oublierait presque qu’il s’agit du récit d’une vie. On a plus souvent l’impression de lire avec délectation le scénario hollywoodien de quelque vibrant biopic.
Tout y est : la jeunesse après-guerre à Brixton et Bromley avec Terry, demi-frère influent quoique suicidaire et schizophrène. Les années de galère à faire le mime et à chanter comme Tony Newley, avant le succès. Un Laughing Gnome par-ci, un Major Tom par-là, puis c’est le décollage. L’invasion terrienne par Ziggy Stardust, les Spiders from Mars, le voyage en Amérique, les orgies de drogues et d’alcool, la magie noire, l’épouse-sosie-cinglée Angie, leur fils Zowie. La période berlinoise, où Bowie se retrouve, aux côtés de son frère d’âme Iggy Pop. Les apparitions au théâtre, les rôles au cinéma, les albums vendus par millions, le dérisoire milieu des années 1980, le déclin artistique, la chute et l’apogée. Tous ces hauts et ces bas sont analysés à la lumière de la bissexualité, d’une beauté androgyne sans pareille et de chansons qui figurent parmi les plus belles du vingtième siècle. L’ouvrage se termine au mitan de la vie de Bowie, avec un plan du personnage apparemment en retraite, disparaissant sereinement dans la vie d’un père de famille new-yorkais entouré de son top model d’épouse, de son enfant magnifique et de sa montagne privée.
Cette histoire, comme tout mythe qui se respecte, demande à être lue et relue. Paul Trynka la raconte avec beaucoup de talent. Certes, sa biographie est la dernière d’une longue lignée remontant jusqu’au début des années 1970 ; mais avec près de 200 nouvelles sources, celle-ci est assurément la plus aboutie. Paul Trynka est bien informé ; sa plume pleine d’esprit et sa verve n’ont d’égales que son amour du sujet traité. La biographie compte suffisamment de faits et anecdotes inédits pour mettre en émoi le plus calé des spécialistes ès Bowie. On pourra toutefois reprocher à la plume de Trynka d’être par endroits un peu sèche, de manquer de mélodie. Les marques d’humour sont d’autant plus bienvenues qu’elles sont rares. "The Laughing Gnome", écrit-il, "est une infection. Une espèce de maladie de la peau. On peut affirmer sans trop prendre de risques que The Laughing Gnome est l’un des plus beaux spécimens de chansons pour enfants façon music-hall pseudo-psychédélique avec accent cockney".
Par ailleurs, la masse de ressources déjà disponibles sur les débuts de Bowie fait regretter que Trynka n’explore pas ses derniers albums plus en profondeur, d’autant plus qu’ils représentent la partie à la fois la plus réussie et la plus sous-estimée de son œuvre.
Bien qu’elle ne contienne aucune révélation fondamentale, cette biographie a le mérite de comporter de très nombreux détails inédits. Même en ayant lu l’ensemble de ses biographies précédentes, Starman vaut le détour. Si c’est votre première fois, commencez par celle-ci. Seule ombre au tableau, le grand absent parmi les 200 témoins exclusifs du livre est David Bowie lui-même ; ce qui peut jeter un doute sur l’avenir possible d’un ouvrage non-officiel tel que Starman, face aux autobiographies récentes (et excellentes) de Keith Richards et Bob Dylan. En effet, si Bowie fait autorité dans le domaine de la pop culture via la musique et le cinéma, la littérature reste une terre inconnue chez lui. Peut-être Bowie, qui se qualifie lui-même de "généraliste", attend-il dans les coulisses, son autobiographie sous le bras. Ce serait alors le récit ultime de l’un des voyages les plus fascinants de notre époque. On peut aisément patienter, en tout cas, avec la lecture captivante qu’est Starman. |