Sébastien Llado est un tromboniste de jazz, dont le premier album Avec deux ailes − première réalisation du label de Jérôme Gransac, Les Disques de Lily − correspond à l’enregistrement d’un concert de son quartet au Sunside, club de jazz de Paris. La possibilité nous est donc donnée de découvrir le caractère spontané de ce travail, présenté dans une ambiance chaleureuse et un plaisir de jouer évident. La modernité de ce jazz relève d’un dépouillement mettant en valeur un jeu clair, où s’expriment à égalité les différents instruments. Le concert suit ainsi une progression, dévoilant lentement sa propre richesse sans compromettre cette légèreté qui fait la force du groupe.
L’équilibre entre les instruments repose sur la sensibilité musicale de Sébastien Llado, qui favorise les relations entre le jeu de piano très contrasté de Leïla Olivesi, la subtilité de Julie Saury à la batterie, et l’expressivité de Bruno Schorp à la contrebasse. Chacun apporte à l’ensemble une singularité : dans l’étonnant morceau "L’Aube des girafes", le piano engage un dialogue nuancé avec le trombone et le complète par des réminiscences plutôt ravéliennes (c’est-à-dire établissant des correspondances imperceptibles, même involontaires avec Ravel) ; dans "In a Mean Time", le trombone fait preuve d’inventivité, en se tenant à chaque instant au bord de la rupture ; dans le saccadé "Tranz Tanz", reprise du pianiste allemand Wolfgang Dauner et "dédié à la mémoire d’Albert Mangelsdorff", la contrebasse tournoie fièrement, produisant des effets de vertige.
Autre point remarquable de ce disque : son humour, d’abord celui des titres, comme "Cette valse m’usait", ou "L’Aube des girafes" (le versant surréaliste du disque ?), jusqu’à cet "Elan vers la lune", composé de deux parties nommées "première aile" et "deuxième aile" – habile référence au titre et manière d’exprimer une certaine ivresse musicale. Ensuite et surtout l’humour des compositions qui surprennent par certaines audaces formelles, comme des ruptures de ton, ou des transitions faites sur le mode ludique : l’étrangeté du morceau "Coquillages et crustacés" à ce propos a de quoi surprendre – l’utilisation des conques, autre spécialité de Llado, justifiant d’ailleurs pleinement ce titre − juste avant la reprise désinvolte de "La Madrague" de Brigitte Bardot, intitulée ici par une inversion syntaxique amusante "La Magrade".
On peut également relever une autre dimension de cet album, qui est celle de l’intériorité, proche de la mélancolie, qu’exprime un des derniers morceaux, "Haut, bas : fragile", très beau justement par cette fragilité, vecteur principal du jazz. "Dernières danses" par la suite confirme cette délicatesse : la longue introduction du piano sur la première moitié du titre atteint un sommet d’inspiration, qui sera prolongé ensuite collectivement par le jeu de l’improvisation.
L’élégance de ce disque est donc ce qui mérite d’être mis en avant : il donne envie d’aller voir le groupe sur scène, et de célébrer comme il se doit ce jazz libre et inventif. Mais aussi la belle production de cet enregistrement "live" nous fait souhaiter la possibilité d’un autre album de Sébastien Llado, toujours à contre-pied des habituels enregistrements studio, avec autant d’ailes nécessaires pour produire de nouvelles spontanéités. |