Christian Lejalé est une espèce de touche-à-tout de la création, orienté "racontage d’histoires", option imaginaire. Pour preuve, il a collaboré à la création de spectacles, a produit, scénarisé et réalisé des films, et écrit des romans. Que d’imagination !
Son petit dernier : A l’encre de Chine, livre 1 (le livre 2 sera pour plus tard). L’histoire se passe en Chine "dans le chaos de la fin d’un empire, une fabuleuse histoire d’amour". Je n’ai lu que le livre 1, et je suis d’accord avec le chaos de la fin d’un empire, bof pour l’histoire d’amour, même si j’aurai ajouté une mention à la cruauté féminine, ultra-présente dans les lignes.
Tout commence en 1860, quand la Chine était un pays lointain, avec son siècle de retard par rapport à l’Europe qui s’extasiait sur les moteurs à explosion et les nuages de fumée, la révolution industrielle dont nous payons chèrement les conséquences aujourd’hui. Bref, là-bas, celui qu’on nommait le Céleste Empire est en train de s’effondrer. La faute à un empereur stérile complètement stone 24h sur 24, incapable de fabriquer un petit successeur, et les oncles et cousins qui se frottent les mains, les jalousies et les luttes de pouvoir. Arrive une opportuniste avec de jolies petites dents qui rayent le plancher : Ts’eu-hi, "recrutée" pour enrichir le harem de concubines de l’empereur friand de chair fraîche. Elle s’allie à un eunuque de mauvais aloi : Xiao An Zi, partage la couche de l’empereur (oui, c’est comme ça qu’il faut dire, même si au fond, son lit n’est qu’un baisodrome). De là naîtra un fils ! De l’empereur stérile ! Si si, carrément, mais comme nous sommes les lecteurs, nous savons tout, c’est le fils de l’eunuque ! Comme quoi, les feux de l’amour n’ont rien inventé.
Le Maître (nom donné au vice-empereur) met des bâtons dans les roues de Ts’eu-hi, il voit clair dans son jeu, mais ne peut empêcher son élévation au rang d’impératrice, suite à des morts suspectes (nous aussi on a eu une affaire des poisons à la cour de Louis-truc). Il se retrouve lui-même pris au piège dans les griffes de la méchante Ts’eu-hi, qui éloigne la femme qu’il aime, Fleur de Sorgho, le lendemain de son accouchement d’un petit garçon, qui est en fait une fille. Et je vais y arriver, cette fille : Yuna (qui est officiellement un garçon : Yuno), est la narratrice de l’histoire. Du coup, le début du livre mérite d’être relu une fois que le roman est fini, tout s’éclaire.
Le roman mérite même d’être lu deux fois, pour tout ranger-comme-il-faut. Parce que les aller et retour entre passé/présent ne sont pas toujours explicites. Mais ce n’est pas un inconvénient. Au contraire. Ça explique la grande qualité de raconteur d’histoire de Christian Lejalé. Il possède le rare talent de décrire des drames qui laissent une empreinte, à croire qu’il a lui-même vécu ces drames. Par exemple, quand il parle de la fuite des concubines, lors de l’incendie du palais d’été, pendant la révolte des Boxers (l’empire Céleste s’effondre je vous rappelle, ce n’était pas trop la période des sourires faux et des rires jaunes, mais plutôt des actes : incendies, meurtres, empoisonnements, suicides…). Nous sommes carrément plongés au cœur du brasier, pas facile de vivre l’ellipse narrative du chapitre suivant, et de se retrouver des années plus tard pour écouter Yuna nous raconter la quête de son vice-empereur de père.
J’attends le livre 2 pour mesurer l’ampleur de l’histoire, non-achevée dans ce premier livre, un peu comme j’attends le dessert dans un restaurant végétarien, toutes les surprises sont permises. A noter que Christian Lejalé propose une édition spéciale du roman, enrichi de calligraphies et sceaux chinois. |