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est rempli de quizz imbéciles destinés aux completistes-rock dans
mon genre et la moitié de ces quizz est consacré aux Beatles.
Et ces quizz sur les Beatles posent tous la même question : "Quel
est le dernier album des Beatles ?". Les fans occasionnels répondent
"Let it Be" ; les obsédés répondent
"Abbey Road" (merci, c’était vraiment
très intéressant…).
"Let it Be" a en effet été enregistré avant "Abbey
Road" mais il est resté, inachevé, dans les cartons jusqu’à
sa sortie en 1970. En janvier 1969, après le double blanc, les Beatles
décidaient d’enregistrer leur nouvel album. Ils sont à l’époque,
sans aucune hésitation possible, le plus grand groupe au monde. Autant
dire qu’on les attend au tournant.
La critique s’est régalé à éreinter "Magical
Mistery Tour", mauvais téléfilm à la musique
parfaite. Ils savent qu’ils doivent toujours étonner et se surpasser.
Dur d’être un Beatle. Surtout à cette époque : ils
fatiguent. George Harrison en a marre d’être la
troisième roue du carrosse et que ses compos soient régulièrement
refusées (il quittera même un moment le groupe pendant l’enregistrement
de "Let it be") ; John Lennon ne quitte pas Yoko
Ono dont la seule présence a le chic pour taper sur les nerfs
des trois autres ; Ringo Starr s’en fout, ou plutôt,
il voudrait que ce soit comme avant, quand les quatre amis s’amusaient
à faire de la musique ; quant à Paul McCartney,
il a une idée très précise et un peu mégalo de ce
qu’il veut faire des Beatles… Les chefs-d’œuvres psychédéliques que sont "Sergent
Pepper’s", "Magical Mistery Tour" ou les
singles "Peny Lane" et "Strawberry Fields",
quand les Beatles passaient tout leur temps et leur énergie à
expérimenter en studio avec le formidable George Martin,
sont loin derrière. On n’a plus envie de travailler. On veut du
spontané. Lennon dit à Martin qu’ils n’ont pas besoin
"de toute sa merde de production "… Déjà, l’extraordinaire
album blanc était l’album de la lassitude après l’euphorie,
de la fatigue après l’entoushiasme, de la redescente après
la drogue…
Lennon se laisse aller dans ses textes : on passe du surréalisme de "Strawberry
Fields" a des textes plus bruts ("I’m so tired")
ou, dans "Let it be", à la blague pure et simple : "Everybody
pulled their socks up/Everybody put their foot down). On a déjà
un avant-goût des albums solo à venir.
"Let it Be" continue dans cette voie : le concept du nouvel album
sera "live in the studio". Aucun re-recording autorisé. Les
quatre Beatles jouent tous ensemble (ils sont bientôt rejoints par leur
viel ami Billy Preston au piano électrique) ; si la
prise n’est pas bonne, on recommence tout. Toutes les répétitions
sont filmées et on prévoit de terminer le film par un concert,
le premier (et dernier) concert des Beatles depuis août 1966… Très vite, ca dégénère : le studio de cinéma
de Twickenham est froid et inhospitalier ; le groupe, habitué à
travailler la nuit, a du mal à s’adapter aux horaires de bureau
des cinéastes. Ils regrettent leur bon vieux studio d’Abbey Road…
Le concept de "live in the studio" implique des centaines de prises
qui minent tout le monde (et feront la joie des bootleggers…). On en arrive
à ce genre de délire : "Cétait comment ?" "Bien,
mais la grosse caisse était mieux sur la prise 96 ; en revanche, au troisième
couplet, la voix était plus juste sur la prise 45"…
Etre filmé 24 heures sur 24 alors qu’on a du mal à se supporter,
ce n’est pas l’idéal. George se tait ou s’engueule
avec Paul ; les discussions sur le choix du concert s’éternisent
: la réédition Let it be… Naked
est accompagnée d’un disque de 20 minutes, montage d’impros
et de discussions ; on y entend Paul proposer de jouer en Arabie ou Lennon demander
qu’on lui trouve au plus vite deux paquebots, qu’on les remplisse
d’amis et qu’on joue sur le pont, au large (George, laconique :
"That idea is completly insane."). On a l’impression de voir
les joints circuler… C’est finalement George, qu’on ne croyait
pas si punk, qui aura l’idée finale : faire un concert interdit,
que la police viendra interrompre. Après le départ puis le retour de George, ils déménagent
dans leurs bureaux d’Apple, reprennent l’enregistrement et jouent
finalement sur le toit de l’immeuble, pour un concert mémorable,
le 30 janvier. Puis, ils enchaînent sur ce qui sera "Abbey Road ",
laissant à Glyn Johns, l’ingénieur du son,
le soin de faire un album de toutes les bandes enregistrées en janvier.
Ce premier montage est rejeté. Et "Let it Be" dort dans un
tiroir jusqu’à ce que Lennon donne, sans en parler aux trois autres,
les bandes à Phil Spector pour qu’il les remixe.
Idée extravagante : Phil spector, c’est le "Wall of Sound",
les orchestres philarmoniques, les chœurs, c’est toute la démesure
et le mauvais goût. Et on plaquait ça sur ce qui se voulait au
départ un album "live in the studio" ! Paul le prend très
mal. Il y a de quoi : les ballades en particulier sont noyées dans un
sirop gluant et mélo.
Cette réédition a enfin nettoyé les bandes orignales de
toute cette soupe. On peut y voir encore une fois – après la sortie
de la Beatles Anthology – la volonté de McCartney de réécrire
l’histoire, maintenant qu’il est un des deux seuls survivants. On
peut rêver en effet à ce que le trouble-fête Lennon dirait
de la version "tout-le-monde-il-est-beau,tout-le-monde-il-est-gentil "
de l’histoire des Beatles proposée aujourd’hui par Macca…
Mais bon, ce qui compte, c’est d’avoir enfin un magnifique album
"Let it Be", qui enterre les centaines de pirates tirés de
ces sessions de janvier 70. Le son remasterisé est absolument extraordinaire
et on a vraiment l’impression d’être avec eux dans le studio.
Le plus émouvant est de découvrir de belles parties de guitares
ou des chœurs de John ou Paul là où on ne connaissait que
des nappes indigestes de violons ou de dizaines de sopranos américaines.
On regrettera peut-être tous les petits intermèdes, dialogues de
studio et blagues de Lennon : "Maggie Mae" et surtout l’
impro "Dig it" (qui sur les pirates fait près de 15
minutes). En revanche, on a droit à "Don’t let me down"
qui n’était à l’époque sorti qu’en single. Ce Let it Be… Naked est un excelent moyen de
redécouvrir un album un peu oublié des Beatles, celui d’un
retour aux sources après de fastueux délires, celui aussi où
ils se retrouvent, comme au bon vieux temps d’Hambourg, à hurler
un de leurs premiers morceaux, le rock’n’roll "One After
909".
Vivement un dvd de "Let it be" le film.
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