Comédie dramatique Arne Lygre, mise en scène de Stéphane Braunschweig, avec Irina Dalle, Alain Libolt, Pauline Lorillard, Annie Mercier et Luce Mouchel.
Du pays des glaces, jaillit la musique de Grieg, gémit le drame de Strindberg et grincent, aujourd'hui les paradoxes d'Arne Lygre.
Une dame sur scène, dans un fauteuil de cuir cher. Décor pour minimalistes au maximum de la douleur non traitée par les tranquillisants. Elle songe à la vie parallèle d'une autre, habillée pareil, du noir, du blanc, du pantalon obligatoire, absence de talons, de maquillage.
La dame a une grosse voix d'homme ; l'autre, plus mince, (anorak cher noir), a une fille (sèche, grise) La grosse dame à voix de bouledogue a un mari qu'elle aime (une vieille faiblesse, conservée comme une fleur séchée). Tout à coup, il faut partir (attaque nucléaire ? crise écologique menaçant la "planète" ?, fonte des glaces provoquée par une montée de l'islamisme ?) A quoi bon savoir: il faut quitter Scandinaland à la nage, comme des otaries folles.
Dans ce pays de stricte égalité, où le roi pédale sur sa vieille bicyclette dorée, où les hommes portent des bébés sur le ventre sans en sentir l'obscénité dévirilisante, où l'on épouse une partenaire qui n'est même plus d'un autre sexe, d'ailleurs il n'y a plus de sexes mais des genres, voici les thèmes qui mobilisent ce jeune norvégien né en 1968, dans un port de froidure aux maisons colorées, qui se doit de croire à l'avant-garde, et qui a une envie souveraine et jouissive de tout jeter aux flammes.
L'écriture de "Je disparais", malgré la traduction - assez convenable, d'Eloi Recoing - offre quelques belles surprises et les comédiens sont inspirés : Irène Dalle, Pauline Lorillard, Annie Mercier, Luce Mouchel, qui, grâce à la fantaisie du français, font fondre la glace et décongeler le propos.
Mais surtout, Alain Libolt, vieil adolescent gracile aux longues jambes, à la fin, décousant le vieux plaid, vient fusiller tout le monde, vengeance de mâle ovin, apparemment soumis près de la fausse cheminée "design", silhouette tragique d'un ces soleils de minuit tragiques de là-bas.
Stéphane Braunschweig a réussi à construire un igloo de lumières et d'espaces où peuvent s'ébattre ces humains raisonnables. C'est beau, c'est glacé, c'est moderne. On frissonne.
Le public s'interroge : ainsi sommes-nous ? Pas tout à fait. L'universel n'est pas en ligne de mire. Mais sans doute ressemblons-nous, chaque jour davantage, à ce que nous tend ce miroir givré. |