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Tao Lin  (Editions Au Diable Vauvert)  janvier 2012

La trame de Richard Yates est assez simple : un jeune homme rencontre une jeune fille sur internet. Peut-on réellement dire qu'ils tombent amoureux ? Le style de Tao Lin, factuel et minimal à l'extrême, ne laisse guère de place au lyrisme. Le roman détaille les menus aléas de leur relation, la première rencontre "réelle", les allers-retours entre New York et le New Jersey, les promenades dans les allées d'un supermarché et les séances de vol chez American Apparel. Les protagonistes sont très jeunes (21 ans pour lui, 16 ans pour elle), et sont à la fois parfaitement décalés et totalement représentatifs de leur époque. On imagine sans peine que l'un et l'autre ont été très seuls dans leur enfance, et c'est cette solitude persistante sans doute qui les rapproche sans parvenir tout à fait à les réunir. Tao Lin donne à ses personnages des noms d'enfants-stars : Dakota Fanning pour elle, Haley Joel Osment pour lui - acteur qui, dans Sixième sens de M. Night Shyamalan incarnait Cole Sear, l'enfant qui voit des personnes décédées… et qui, après une célébrité précoce, n'a plus fait parler de lui que pour quelques soucis de drogue et d'alcool.

Les personnages de Tao Lin sont d'une créativité un peu monstrueuse, écrivent des nouvelles, des chansons, s'échangent presque quotidiennement des peluches cousues main ou des dessins psychédéliques réalisés sur Microsoft Paint. Les personnages de Tao Lin ont sans doute un blog Tumblr ou deviantART, ou les deux. On pense au jeune homme dans American Beauty qui filme la déroute d'un sac en plastique pris dans le vent. Leur univers esthétique est mollement dépressif, ils pensent en phrases brèves, et ils parlent de se suicider comme d'autres parlent d'aller prendre un verre. Leur devise : "on est niqués". Ils sont victimes des maux médiatisés du nouveau siècle (pédophilie, troubles alimentaires), se parlent sans retirer leurs écouteurs, sont à la fois des hypercommunicants au vu du temps passé sur le chat Gmail, et à peu près incapables de communiquer. Une partie importante du roman retrace des conversations en messagerie instantanée (ou presque) - curieux mode d'échange, chacun dans sa solitude écrivant en même temps que l'autre, voyant que l'autre est en train d'écrire mais pas encore ce qu'il a à dire. Ils volent des romans de Richard Yates, romancier spécialisé dans la peinture de la classe moyenne américaine.

Le roman travaille au corps la solitude contemporaine, mais pose aussi la question de ce qu'aimer veut dire. On découvre en Haley Joel Osment les exigences de la Gertrud de Carl Dreyer : le plaisir d'être avec l'autre doit passer avant le sommeil, le fait que l'on pense à l'autre doit sans cesse être démontré. Dans le même temps, on le voit pris au dépourvu par ce qu'il ressent, un sourire irrépressible prenant son visage d'assaut lorsqu'il voit Dakota au réveil. Cette relation est-elle pour l'une et l'autre un piège ou une planche de salut ? Le doute n'est pas dissipé. Entre l'attention bienveillante et la manipulation, la frontière paraît mince et mouvante.

Du roman dans son ensemble, émerge une curieuse poésie post-rock, tramée par un style répétitif et sans fioritures. A la fin du livre, l'index constitue un objet poétique en soi, ramenant les locutions à des éléments dénombrables : "expression du visage neutre" apparaît 14 fois dans le roman, alors que "Whole Foods" est cité à onze reprises. Le livre expose sa nature d'objet littéraire fabriqué à partir d'un nombre limité d'éléments textuels, de l'art ASCII en quelque sorte. Tao Lin a été comparé à Bret Easton Ellis, sans doute pour cette façon d'accorder aux noms de marques la même omniprésence au sein du texte que dans notre réalité contemporaine. Tout se passe comme si la prolifération des signes, l'encodage du monde transformait le visage d'autrui en une interface sur laquelle on peut lire un certain nombre d'expressions sans davantage d'épaisseur que des smileys : déprimée, excitée, inquiète, amusée, timide.

Dans Le Roi des aulnes, Michel Tournier voit dans la montée du nazisme une victoire des signes sur les hommes. L'histoire de Dakota Fanning et Haley Joel Osment est loin d'être Roméo et Juliette, mais elle est une sonate pour des temps barbares. Par leur créativité, leur invention d'un langage qui soit vraiment le leur, la pratique du vol, les menus végan (expression d'un nouveau rêve de pureté, un nouveau romantisme dans les limites d'un univers consommable), Haley et Dakota cherchent à ouvrir des brèches où respirer. Alors qu'à Paris on s'émeut des affiches publicitaires dans le métro qui invitent à rencontrer son voisin sur internet (pourquoi pas tout simplement sur son palier ?), on a un peu envie de dire comme eux : "on est niqués".

 

A lire aussi sur Froggy's Delight dans la même collection :
La chronique de "Thérapie cognitive du comportement" de Tao Lin

En savoir plus :
Le site officiel de Tao Lin
Le Facebook de Tao Lin


Anaïs Bon         
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