Coïncidences ? Je jette un dernier coup d'œil avant de partir : le dernier album de Mirrors git sur la table d'écoute tandis que 3 secondes de Mathieu, ouvert, laisse entrevoir ses plus plus belles pages d'intrigue... Je suis loin d'imaginer que la métaphore du reflet me poursuit ou plutôt me pousse à aller rencontrer Picasso et Duncan à la Piscine de Roubaix.
L'obstination d'un photographe
"Je n'étais pas non plus le meilleur des photographes. [...] Mais moi, j'étais le seul qui restait, jour après jour.", explique humblement David Douglas Duncan à propos de son œuvre autour de Picasso. A l'entrée de l'exposition Picasso à l'œuvre dans l'objectif de David Douglas Duncan, la vidéo se répète sans relâche et accueille les visiteurs. Curieux, ils s'arrêtent un moment. Hypnotisés, ils s'assoient pour mieux boire les paroles du photographe : l'histoire d'une période riche en œuvres et en clichés de 1956 à 1973. En vérité, Duncan est un conteur envoûtant et envoûté par son travail. Il nous donne envie de l'écouter des heures raconter ses moments de vie de photographe avec le "Maestro". "Pourquoi tu ne m'as jamais dit non ?" demande-t-il un jour au peintre. "M'as-tu déjà dit comment je devais peindre ?". Sa ténacité aura permis de conserver éternellement des moments magiques de la vie du peintre, sans masque...
Regards croisés
Un drôle de masque nous observe, suspendu. Les yeux y sont intenses et brillants. Ce sont ceux de Picasso, sous les traits d'un hibou. Nul besoin de parole, le décor est posé. Ces regards croisés annoncent bel et bien la fusion des genres artistiques. Pas à pas, j'entre alors dans la vie du peintre. Les premières photos nous plongent dans le vaste et lumineux atelier de Californie. Picasso y est pris sur le vif dans sa baignoire, le premier cliché du photographe. Simple et vrai. Son espace de travail y est plein de vie. Poussée par la curiosité, j'observe avec minutie : les pinceaux, l'abondance des tableaux, des sculptures... si libres et aujourd'hui tant emprisonnés. Et, de photo en photo, je vois l'artiste à l'œuvre. J'ai l'impression d'être tout à coup une observatrice de l'ombre, contemplant discrètement les œuvres dans son dos. Picasso ne pose pas. Pour autant, les images sont fascinantes : la justesse d'un trait de fusain, la détermination d'un regard, la concentration extrême d'un artiste...
La magie s'opère quand soudain, au détour d'une photographie, les œuvres apparaissent, comme sorties des photographies : sculptures, tableaux, dessins, lithographies et céramiques – quel lieu plus accueillant que La Piscine ? - Suis-je au cœur de l'atelier ? Je me prends au jeu de faire des va-et-vient entre clichés et œuvres, examinant chaque détail de l'objet fini et pourtant en pleine construction sur papier glacé. J'ai la sensation de faire des sauts de décennie en un regard. Je suis étonnée de trouver cet immense tableau : "Baigneurs à la Garoupe" et surtout cette vie autour de lui. Outre les carnets de croquis ayant servis à l'œuvre finale, on découvre Picasso dessinant les derniers traits de fusain de la peinture puis dansant, comme pour fêter son avènement.
Certains travaux m'absorbent particulièrement. Je reste un long moment devant les scènes de toromachies. "El paseo de cuadrillas" ou encore "Corrida" me touchent, peut-être parce qu'elles illustrent des scènes typiques, tirées des racines de l'artiste. Les traits, tels des ombres bedonnantes ou frêles sont simples et justes. Je m'interroge de la même façon en contemplant "Françoise au corsage" ou "Portrait de Jacqueline". La beauté y est si géométrique et pourtant si intense. Les créations de Picasso me paraissent être des squelettes de la réalité, sortes de représentations nues ou presque. Les quelques traits justes et simples suffisent à dégager l'émotion et la vie.
Avant d'achever la ballade au fil des ateliers, je compte, impressionnée, les stars qui ont visité Picasso : Gary Cooper, Yves Montand, Simone Signoret, Jean Cocteau... Quels hauts lieux de rencontres que ces antres !
Près de 150 œuvres ? C'est beaucoup et si peu ! Je suis frustrée de ne pas en découvrir plus... Oh, les puristes des périodes bleues, roses ou cubistes n'y trouveront peut-être pas leur compte. Quoique ? Bon nombre d'œuvres sont rares. Mais il est peut-être sage d'abaisser le voile, laisser la magie de l'artiste se révéler par ses œuvres. |