Comédie dramatique de Arthur Miller, mise en scène de Dominique Pitoiset, avec Nadia Fabrizio, Dominique Pitoiset, Pierre-Alain Chapuis, Cyrille Henry, Adrien Cauchetier, Adeline Jondot, Christophe Poulain, Tom Linton et Roberto Magalhaes.
Avec "Mort d'un commis voyageur", pièce emblématique du théâtre réaliste américain très ancrée dans l'Amérique de la fin des années 40 et son fameux "rêve américain", Arthur Miller traite de la machine à broyer que constitue le système socio-économique capitaliste, qui ne connaît ni la demi-mesure ni la tergiversation, illustrée par une tragédie humaine.
Face aux réalités contingentes de la vie, Willy Loman, prototype de l'homme ordinaire avec ses trivialités, ses rêves, ses illusions et ses mensonges, est pris au piège tant de ses incertitudes, un choix impossible entre des valeurs antinomiques, que de sa médiocrité, l'absence d'ambition professionnelle et l'immobilisme face au monde qui change.
Une succession d'échecs - une famille qui ne parvient pas à l'idéal "Happy Days", des fils qui piétinent au pied de l'ascenseur social et une fin de carrière soldée par le chômage - le conduit, dans un monde marchand, à vendre sa vie, sa mort en contrepartie du pactole de l'assurance-vie qui permettra à ceux qui restent de rebondir, pour affirmer sa foi en l'espoir.
Dominique Pitoiset a fait appel aux dramaturges Mariette Navarro et Daniel Loayza pour modifier de manière intéressante l'architecture originale de la pièce.
D'une part, à la linéarité chronologique globale du récit structuré en chronique d'une mort annoncée est substituée une évocation en flash-backs, à la manière du roman "Les choses de la vie" de Paul Guimard qui a été adapté au cinéma sous le titre éponyme par Claude Sautet.
D'autre part, l'imbrication des récits de manière puzzléique autour de la figure centrale du père, qui a été préférée au procédé du crescendo tragique, met en évidence les clivages en miroir, ainsi entre l'échec et la réussite sociale, les thématiques, de l'aliénation au consumérisme, écrasement de l'individu improductif et la honte du chômage, et les personnages en double inversé du personnage central.
Doublement à la scène à la mise en scène et au jeu dans le rôle principal ("une folie" indique-t-il tout en précisant "je sais de quoi parle la fable et je préfère la jouer plutôt que d'en parler " à un comédien), Dominique Pitoiset a également présidé à la scénographie - une voiture accidentée sur un terrain vallonné et gazonné - qui esthétiquement ressortit davantage à la ligne claire de la Figuration narrative qu'à la référence à la "staged photography" ou du moins davantage Jeff Wall que Grégory Crewdson.
Dans un monde d'hommes dans lequel la femme ne peut être que maman, la femme au foyer (Nadia Fabrizio) ou putain, la femme objet sexuel, (Adeline Jondot), face à ceux qui réussissent, par conviction ou adaptation au système, le voisin, et son fils (Pierre-Alain Chapuis et Roberto Magalhaes), le fils du patron (Christophe Poulain) et le frère qui a réussi (Tom Linton), les hommes de la famille patinent.
Entouré d'une belle distribution homogène pour laquelle il assure une vraie direction d'acteur, Dominique Pitoiset, qui campe avec beaucoup nuances sensibles l'humanité douloureuse de Willy Loman, bien que cloué au pilori du capitalisme ce dernier n'est pas un saint, voulant croire encore à l'avenir de ses fils (Cyrille Henry et Adrien Cauchetier), signe un excellent spectacle. |