Tragédie d'après l'oeuvre éponyme de Racine, mise en scène de Naïs El Fassi, avec Nacima Bekhtaoui, Clément Oliva, Maïa Rivière, Lisa Spurio, Jackee Toto et Matthieu Tune.
Pour sa première mise en scène, hors celle d'une création collective présentée en début d'année dans ce même théâtre de l'Etoile du Nord dans le cadre d'un festival de formes courtes autour de Shakespeare, la jeune comédienne Naïs El Fassi n'a pas opté pour la facilité en choisissant non seulement une pièce du répertoire mais, de surcroît, une tragédie.
Et elle livre avec "Andromaque m'a tué(e)", adaptation de l'Andromaque de Racine, un travail très intéressant, pour lequel elle s'est judicieusement inspirée d'une réflexion exploratoire menée au début des années 80 par Jean-Luc Dénis, metteur en scène canadien, dont les lignes directrices concernent tant le fond que la forme pour se concentrer sur le coeur thématique intemporel qu'est la passion dévastatrice dans cette "chaîne amoureuse à sens unique" sur fond de guerre de Troie.
Sur le fond, la partition du quatuor tragique, élaguée de sa surannée gangue de galanterie amoureuse, subit un recentrage radical, en se focalisant sur les "grandes scènes", conservées en l'état, qui éclairent tant la psychologie de l'amour destructeur quand il n'est pas partagé, que les relations actantielles de la tragédie et aménage, comme contrepoint de la rationalité, celle des confidents.
Les personnages principaux, volontairement empêtrés, les femmes le bras entravé, les hommes avec des éléments de costumes encombrants, des chaussures de dragqueen pour Oreste, un empilement de hardes, tributs des ennemis vaincus, pour Pyrrhus, évoluent en proximité avec le public installé en bi-frontal sur la scène, les confidents (Maïa Rivière et Clément Oliva), en costume de ville, étant assis parmi les spectateurs.
Cette version resserrée permet de prendre la mesure de l'emprise passionnelle sur les héros masculins tant Oreste, le fils de Agamemnon, que Pyrrhus, le prince victorieux, respectivement interprétés par Matthieu Tune et Jackee Toto, tous deux dans un registre à la limite du mélodramatique, qui abdiquent toute dignité sacrifiant tout, rang social et ascendance glorieuse, le mélancolique qui se complait dans la victimisation liée à sa lignée maudite, et l'amoureux pathétique instrumentalisé jusqu'à la perpétration d'un assassinat avant de sombrer dans la folie, que Pyrrhus, aveuglé par le désir de posséder une reine déchue et captive, femme dont la beauté, la droiture morale et l'insoumission sont l'enjeu d'un nouveau combat.
Si les hommes foncent tête baissée vers leur destin funeste, les héroïnes raciniennes sont davantage en proie au dilemme et les deux jeunes comédiennes qui les incarnent se démarquent nettement non seulement par l'intensité de leur jeu mais également, chacune à sa façon, par leur manière de déjouer le piège de la diction déclamatoire des alexandrins.
Lisa Spurio porte avec assurance la figure de Andromaque, celle dont la seule présence enclenche la mécanique infernale qui, par ricochet, va conduire au sanglant dénouement, la seule à avoir connu l'amour partagé, qui montre autant de noblesse d'âme, figure de la fidélité conjugale, de l'amour maternel que d'habileté redoutable pour esquiver le chantage de Pyrrhus.
Quant à Nacima Bekhtaoui, une belle et prometteuse découverte, elle est excellente dans le rôle de Hermione, la fière princesse éprise d'absolu en proie au conflit intérieur entre une passion dévorante et un orgueil humilié qui réclame vengeance et inverse l'amour en haine. |