Une autobiographie crée souvent autant d’enthousiasme pour celui qui l’écrit que d’ennui pour celui qui la lit. Jeu de sanctification de son auteur, qui n’a pas au préalable un piédestal disponible pour installer ce dernier bien à son aise et l’admirer, n’aura que faire des jeux d’atermoiement ou d’autosatisfaction convenus et pourra bien vite piquer du nez non par déférence mais par ennui.
Comment ce livre échappe-t-il à la règle ? Sans doute en brisant constamment sa ligne de narration. La chronologie devient folle : la naissance de Tobie Nathan précède et suit sa naissance physique. Le spectre d’un arrière arrière grand père rabbin en Egypte revient prendre place dans le foyer de sa descendance en donnant son nom à l’enfant à naître. L’exode des juifs d’Egypte en 1958 pousse la famille de Tobie Nathan à immigrer en France et le fait naître une nouvelle fois (la véritable selon lui). Il est alors âgé de 10 ans. Né trois fois là où les autres se contentent de ne naître qu’une…
La biographie de Tobie Nathan suit les soubresauts du mouvement de l’histoire. Mai 68 passe par là, et l’ivresse de la liberté qui naîtra alors suivra Tobie Nathan toute sa vie. Il refusera les chapelles et fuira les tendances dominantes (qu’elles soient psychanalytiques ou politiques). Ce livre décrit le long cheminement de l’auteur pour parvenir à développer l’ethnopsychiatrie, comme si elle venait tout naturellement s’inscrire dans un parcours a priori chaotique.
La rencontre de Georges Devereux est déterminante. Il est le véritable initiateur de l’ethnopsychiatrie et choisit l’auteur (du moins selon ce dernier) comme héritier intellectuel. Tobie Nathan nous le présente comme un véritable personnage de roman, loin de toute convention universitaire, provocateur en réaction à l’esprit soixant-huitard et pourtant en totale harmonie avec lui : véritable anarchiste qui va jusqu’à se refuser cette étiquette. Ce portrait justifie à lui seul (s’il le fallait) la lecture du livre.
Le livre est parsemé d’incises qui font respirer le texte : au milieu du récit survient l’épisode de telle ou telle rencontre avec des guérisseurs de différents pays. Rapportés avec un véritable talent de conteur, ces moments qui pourraient n’être qu’un compte-rendu d’un travail d’ethnologue sur le terrain donnent a posteriori une perspective différente sur l’itinéraire de Tobie Nathan. Drôle d’autobiographie qui laisse la place à une sorte de mystère sans pour autant nous conduire à un quelconque mysticisme. Peut-être plus proche, littérairement parlant, du roman que de l’autobiographie (comme l’indique le titre du livre), le plaisir de lecture en est décuplé. |