Chaque fois c’est
la même chose. On y va un peu à reculons, au concert
de Medeski, Martin & Wood, 27 euros,
quand même, ça fait mal au cul, pour qui ils se prennent
ceux-là, et puis le dernier album, bof je l’ai écouté
à la fnac : sans plus.
D’autant qu’on les a déjà vus, alors
cette fois on en est sûr, on restera de marbre, fini le numéro
de chien savant, on est blasé, lassé. Et puis les
lumières s’éteignent, et le concert commence.
Douce évocation de paysages lunaires : nappes de bruits entre-tissés,
claviers soyeux, rythmes lointains et hachés, bribes de mélodies.
Chacun travaille le son dans son coin, eh les gars, vous êtes
fâchés ou quoi ? et on se prend à vouloir leur
donner le tempo, ou bien une tonalité, enfin quelque chose
auquel ils pourraient se raccrocher. Cependant la sauce commence
à prendre. D’où il vient le groove, qui l’a
initié ? Impossible à dire.
Mais ça vous prend là, aux tripes, et le petit orteil
se met à remuer. On lui a rien demandé à celui-là,
mais c’est comme ça, c’est nerveux, désolé
m’sieurs-dames, il en fait qu’à sa tête.
Et quand les cabinets Leslie se mettent à tournoyer, l’orgue
jappe, chante, hurle, la batterie se cale, la basse gronde et roule,
et c’est soudain le pied, la jambe, et enfin le corps tout
entier qui est happé par la musique.
Alors on ferme les yeux… Transe. Oui, Medeski, Martin &
Wood est un groupe de scène.
Parce que l’improvisation qui fait son fond de commerce,
naît avant tout de l’interaction du groupe avec son
public, et que forcément ça ne se capte pas sur disque.
Parce que les trois larrons se débattent sur l’estrade
comme dans une arène, John Medeski,
debout parmi pas moins de six claviers, fier comme Artaban, le regard
fixe et la pupille dilatée, Billy Martin,
tête renversée derrière la batterie, assénant
ses rythmes hypnotiques les yeux levés au ciel, et Chris
Wood, au milieu du vacarme, penché sur son instrument,
le cou tendu en avant, comme pour mieux intercepter les vagues de
son qui lui viennent de part et d’autre.
Parce qu’ils ont gardé leur âme de gamin, joueurs,
taquins, proposant chacun à leur tour une idée autour
de laquelle broder, pour mieux s’en retirer, casser le rythme
ou jouer la note qu’on attend pas, sourire en coin, de l’air
de celui qui a bien dupé son monde.
Vous y avez cru vous ? Et le public rit et bat des mains, acquis
au groupe, saluant au passage un thème connu (c’est
quoi, déjà ? merde, putain, je connais pourtant) qui
pointe son nez au milieu du magma sonore.
Mais plus que ça encore… Ce soir, c’est sûr,
John Medeski a tenté de prendre contact avec les extra-terrestres.
Pour preuve ce clavier au look improbable, plus proche du tableau
de bord du Millenium Falcon que des daubes Yamaha qui ont fait le
succès de Phil Collins. R2D2,
backstage, se balance gaiement d’un patin sur l’autre,
répondant par des couics ou des couacs aux sons hallucinés
sortant des entrailles du monstre. Comme moi, finalement, qui tape
comme un con sur mes genoux, bouche bée.
On pourrait évoquer l’arrivée dans le rig de
Medeski d’un clavier orange au timbre plus que synthétique,
genre générique d’Amicalement Votre, ou bien
le fait que les nouveaux titres passent bien, mieux peut-être
que les vieux tubes (l’attrait, pour eux comme pour nous,
de la nouveauté ?), mais à quoi bon, puisqu’au
fond l’expérience reste la même…
Après treize ans passés au service d’un jazz
rock funky et free, quelque part entre Coltrane,
Hendrix et les Meters,
Medeski, Martin and Wood réussissent encore, soir après
soir, à recréer le bidule, à imposer leur univers
musical à nos oreilles ébahies qui n’en demandaient
pas tant.
Merci, messieurs, pour ce concert époustouflant.
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