Tragédie de Frédric Boyer, mise en scène de Jean-Baptiste Sastre, avec Hiam Abbass, Jean-Baptiste Sastre et les Compagnons d’Emmaüs.
"Phèdre les oiseaux", c’est d’abord une colère, un reproche, un flux de mots, un flux poétique qui sort brutalement, organiquement, du corps d’une femme dévorée d’amour, pleine d’écorchures et d’emportements.
Hiam Abbass, cheveux noirs robe noire, jambes nues, bien posée dans ses Doc Martens vertes, a l’assurance d’une héroïne grecque qui parlerait arabe.
Plus Irène Papas que Mélina Mercouri, elle fait face à l’être aimé sans retour. Comme elle, il a la voix assurée, parfois courroucée, et refuse le jeu qu’elle lui propose. Jean-Baptiste Sastre, par ailleurs metteur en scène du spectacle, est l’archet qui donne toute son ampleur à la musique de Hiam Abbass.
Frédéric Boyer a composé une supplique d’amoureuse en prise à la raison de celui qui ne peut pas lui rendre cet amour. Phèdre n’est pas l’épouse d’un héros mythique, mais un prénom qui résume toutes les femmes de tous les temps et de toutes les civilisations, prises dans les tourments de l’amour à mort.
Entre Phèdre et Hippolyte, ces êtres qui ne fusionnent que dans la haine, il y a un chœur multiple et universel qui cherche à les réconcilier, à leur proposer une autre voie que celle empruntée par la tragédie grecque.
Ce chœur, c’est celui des Compagnons d’Emmaüs, d’abord pelotonnés les uns contre les autres dans la solidarité de leurs différences, puis, peu à peu, osant intervenir chacun leur tour pour offrir un chatoiement de paroles et d’expériences.
Certes, dans cette bulle de blancheur qu’est l'"IMA mobile", la scène n’est qu’un espace où les acteurs s’expriment à hauteur des spectateurs, en pouvant parfois frôler les premiers rangs. On a l’impression d’être dans un long couloir blanc, élément d’un labyrinthe blanc dont on ne fixerait qu’un détour, permettant de fuir ou de se cacher.
Mais ce qui "dé-théâtralise" cette évocation assure aussi une proximité presque charnelle avec les protagonistes. Les voix ne résonnent pas théâtre et l’on perçoit non médiatisée par une "vraie scène" la force de conviction de Hiam Abbass. Impressionnante en Phèdre, cette petite Piaf palestinienne est la grande âme d’un peuple bien rôdé à la tragédie.
On aimera ce moment qu’elle partage avec les Compagnons d’Emmaüs, heureux d’être de ce festin lyrique concocté par Frédéric Boyer, orchestré par Jean-Baptiste Sastre, et dans lequel on pourra aussi savourer quelques beaux propos de Pierre Michon. |