Le monde de la musique est injuste. Pendant dix ans il fut auteur, compositeur et chanteur du groupe Les veilleurs de nuit, second couteau d'une nouvelle scène française qui n'en avait que pour les assauts des Têtes Raides, la bouille à Louise Attaque. Il aura fallu attendre qu'il rencontre Cabrel et Cali, producteurs respectivement de ses deuxième et troisième albums solo, pour que le nom de Daguerre pointe le bout de son nez dans l'espace public. Mais, nous qui marchons dans les ténèbres, n'aurions-nous pas souhaité qu'il reste plus souterrain ?
Drôle de mélange que ce Mandragore, où l'on entend, c'est certain, des vestiges d'un amour un peu dingue, un peu paumé, où l'on croit apercevoir, de dos, le fantôme d'une Loreleï (sebasto cha), mais où c'est le portrait triste de "Carmen" que l'on entend, écrit par Théophile Gauthier et doublé par Francis Cabrel. Où l'on s'attend, sous le soleil écrasant d'un vague terrain de jeux cruels, à devoir se chercher un futur malgré tout, mais où l'on se retrouve piégé dans le canapé moëlleux d'une production-velour, assis sous l'air conditionné et sagement éclairé par des ampoules à économie d'énergie idéalement disposées.
On aime la voix fluette, trop rare, de la violoniste Bertille Fraisse, qui donne à celle de Daguerre, rauque et profonde, un contrepoint savoureux. On aurait aimé, presque, que ce duo-là ose aller plus loin, plus loin que la variété bien arrangée, jusqu'à un rock plus viscéral, à la sensibilité moins contrôlée, moins raffinée, moins élaborée. Et l'on n'est pas loin de frissonner, parfois, lorsque Daguerre, mettant enfin de côté ses vrais-faux airs de doublure de Cali, laisse entrentendre une voix-tempête qui pourrait rappeler Romain Humeau ou Bertrand Cantat, si seulement...
Mandragore est loin d'être indigeste, mais il lui manque justement cette petite touche aphrodisiaque, le regain d'excitation qui l'arracherait du registre d'une chanson francophone trop jolie, trop polie. En bref : on souhaiterait, parfois, que Daguerre ose grogner plus simplement, qu'il se veuille moins beau, moins élégant – moins respectable, peut-être même. Qu'il délaisse l'amour et les fleurs pour atteindre à ce qui compte réellement. Souviens-toi, Olivier : on ne lave pas la poésie, un poète, ça pue des pieds. |