Comédie dramatique écrite et mise en scène par Anna Nozière, avec Virginie Colemyn, Fabrice Gaillard, Camille Garcia, Martial Jacques, Claire-Monique Schere et Delphine Simon.
Dire d'emblée que le texte laisse perplexe, que le ton choisi par Anne Nozière intrigue et interroge : est-on devant une œuvre franchement cérébrale, d'un intellectualisme débridé, une œuvre pleine de dédales et de chausse-trapes, quelque chose qu'il faut appréhender en mobilisant toutes ses capacités réflexives ou - hypothèse hardie et iconoclaste - est-on devant une mystification, une œuvre qu'il faut et lire et vivre au second voire au énième degré ?
Pour la seconde hypothèse, celle d'un jeu sur le théâtre, il y a constamment dans la pièce des ruptures posées comme autant d'indices d'un "sérieux alternatif". L'exemple le plus frappant est une longue conférence de presse, presque hilarante, où, alignés sur des chaises à l'avant-scène, les acteurs jouant des acteurs répondent aux questions les plus saugrenus sur la "Petite" de "La Petite" provenant d'un public imaginaire qui pourrait très bien être le vrai qui leur fait face et qui s'interroge sur tout ce qu'il voit ou croit voir.
Et puis, il y a ce début singulier : les acteurs viennent devant la scène saluer le public, pratiquer des rappels, rendre hommage à la régie lumière, etc... Qu'une pièce commence par la fin d'une pièce et ses rituels doit nécessairement interpeller. Et ce n'est là que le premier des tours et des détours de la mise en scène d'Anne Nozière.
On se doute alors qu'une partie du public préparé au confort d'une "pièce normale" où tout est prémaché, expliqué et surexpliqué, et non pas à un spectacle en train de se faire et de se défaire devant lui, ne trouve son salut que dans la fuite. Elle a grand tort, cette minorité fuyant les faux-fuyants d'Anne Nozière.
Car "La Petite", avec ses scènes qui reviennent sans cesse, avec ses variations qu'il faut s'amuser à décrypter, avec ses personnages flous qui ne sont pas toujours ce qu'on croit qu'ils sont, n'est pas plus compliqué à suivre qu'un film de Raoul Ruiz ou d'Alain Resnais, qu'une construction littéraire de Robert Pinget ou d'Alain Robbe-Grillet.
Ici on est dans le "glissement progressif vers le ludique". Et qu'importe, si ce qu'il faut comprendre et ce qu'on croit comprendre ne coïncident pas mathématiquement.
Il règne dans "La Petite" un climat propice à l'émotion aléatoire, avec ces cadavres d'un bébé et d' une enfant si bien imités, ces personnages en quête d'amour et de reconnaissance.
Si on fait l'effort de se laisser aller à écouter, on finira par entendre ces voix dont le drame intime peut résonner en nous. Si on fait l'effort d'admettre un théâtre d'un autre temps, où passé et futur se mélangent entre mélo et avant-garde, si l'on admet qu'une œuvre peut se construire et se déconstruire pendant que se déroule la représentation, on prendra plaisir à cette énigme dont chaque mystère renvoie au secret d'une vie, celle de la "Petite", peut-être... |