Corinne Maier, quadra suisse diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris, ex-chercheuse au service Recherche et développement d'EDF reconvertie dans la psychanalyse, a également opté pour l'écriture de manière dichotomique en publiant, d'une part, des essais liés à la psychanalyse et, d'autre part, des opuscules humoristiques.
Forte du beau succès éditorial rencontré dans cette deuxième veine initiée en 2004 avec "Bonjour paresse !" qui a défrayé la chronique, par la petite porte de ses démêlés avec son propre employeur de l'époque mais peu importe le flacon, en dénonçant l'hypocrisie régnant dans le monde de l'entreprise et exhortant le salarié à pratiquer en adoptant l'axiome "Si vous n'avez rien à gagner en travaillant, vous n'avez pas grand-chose à perdre en ne fichant rien", elle réitère depuis régulièrement en creusant le sillon du pamphlet moderne caractérisé par la mécanique du crachat dans la soupe ou du pavé dans la mare.
Après "Intello Academy" épinglant la déconfiture culturelle contemporaine qui a entraîné l'émergence de l'intello, version bas de gamme de l'intellectuel, et l'hégémonie de la "pensée Prisunic", le "Manuel de savoir-vivre en cas d'invasion islamique", ou comment conclure un deal gagnant-gagnant avec les nouveaux maîtres, "No Kid", un vrai faux, à moins que ce ne soit l'inverse, manifeste anti-nataliste avec 40 raisons de ne pas avoir d'enfant, étayé par sa propre expérience de mère de famille, et "Tchao la France", ou 40 raisons de quitter votre pays, ce qu'elle-même a fait en allant vivre en Belgique, voici le millésime 2012.
Intitulé "Petit manuel du parfait arriviste",
elle part du constat que le monde est mené par "des serials-menteurs et des joueurs de pipeau" qui pratiquent l'hypocrisie consensuelle généralisée et propose donc à la majorité de losers qui peuplent l'Hexagone certes de rire des faux-semblants des autres et, surtout des postures et impostures des winners patentés mais également de savoir en tirer les leçons pour rejoindre ce clan très prisé.
A partir du postulat suivant lequel l'avenir appartient au "cynicoïde postmoderne accompli" et que la réussite est réservée au "mytho-man", elle a donc concocté "un véritable mode d'emploi du succès" aussi bien au travail, en société, en famille que dans la sphère de l'intime.
Après la paresse, c'est donc un autre des péchés capitaux - bonjour Monsieur Freud ? non Corinne Maier est lacanienne - qu'elle érige en vertu cardinale de la société postmoderne, le mensonge, qui bien employé s'avère un merveilleux et universel sésame qu'elle décline en 39 chapitres souvent jubilatoires et roboratifs même si elle y pratique la compilation et le recyclage de ses opus précédents.
Au sein de l'entreprise, terrain de prédilection du "Ouiouiland", sont recommandés, entre autres, la pratique de "l'enfumage" en étant un homme caoutchouc qui sait user de la langue de bois, le respect de la règle 80-20 selon laquelle 80% du travail est effectué par 20% des employés pour rejoindre "la confrérie des glandeurs" et doubler le mytho-man d'un "ego-man" car "un ego surdimensionné constitue un bouclier éprouvé contre les aléas de l'existence".
Au niveau personnel, cela équivaut à manier une schizophrénie maîtrisée consistant à simuler tout en conservant sa vraie personnalité et dans l'intimité à se conformer à la sexologie de la libération en jouissant à tout prix car "tout échec orgasmique est un Waterloo idéologique".
S'agissant plus précisément de la réussite au féminin, Corinne Maier va s'attirer les foudres des féministes en prônant des stratégies gagnantes "réactionnaires" telles que le "child-free" ou "la berceuse de la maternité heureuse", le renoncement à toute revendication pour ne pas remettre en cause les stéréotypes rassurants, l'adoption du bon look et de la bonne attitude face au travail ("les tâcheronnes, les bonnes filles ou les bimbos ne siègeront jamais dans les conseils d'administration"), l'affirmation de ne pas être féministe, et le mariage avec un homme qui gagne de l'argent ou, mieux, un ambitieux promis à une brillante carrière.
Elle en profite également pour insérer quelques couplets sur la gentrification, le nationalisme décomplexé, la ratification du contrat social ("C'est mieux qu'avant, C'est pas mieux ailleurs"), l'art contemporain ("...des oeuvres si déstabilisantes qu'on les croirait exécutées par des déchets d'asile.."), les diktats sociétaux, être mince et rester jeune, la carte postale de la famille heureuse, le défi du "divorce créatif" qui permet de "recalibrer votre vie sentimentale et de mettre à l'épreuve votre conjugalo-flexibilité" et vilipende les retraités, "ceux qui avaient un boulot médiocre ont cessé de travailler dès 55-60 ans pour toucher une pension dorée alors que vous-même devrez suer sous le burnous jusqu'à ce que votre carcasse s'autodétruise".
Caustique, provocatrice plus que subversive, maniant avec sagacité l'humour au second degré et pratiquant le persiflage avec désinvolture, elle tire sur tout ce qui bouge avec le sens de la formule et l'emploi judicieux du pronom de la deuxième personne du pluriel, ce "vous" qui fonctionne comme un doigt résolument pointé, et arrose large, reconnaissant écrire avec un "stylo-kalachnikov", qui en fait une "bonne cliente" des médias qui lui assurent en retour une belle couverture.
Tout en énonçant quelques vérités dérangeantes, ce petit manuel est résolument humoristique et les naïfs comme les losers congénitaux et les fondus de la course à l'échalote pourront toujours y puiser quelques idées à mettre en pratique pour illuminer leur karma. Ca ne peut pas faire de mal...
|