Drame de Shakespeare, mise en scène de Jérémie Le Louët, avec Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Noémie Guedj, Jérémie Le Louët, David Maison, Dominique Massat et Stéphane Mercoyrol.
Richard III est un monstre, physiquement et moralement. Il est disgracieux, boiteux, cynique, ambitieux et ne renonce à priori devant aucune bassesse pour arriver à ses fins: accéder au trône d'Angleterre et ceindre la précieuse couronne.
Oui mais voilà, Richard III est un merveilleux orateur, subtile manipulateur, capable de se faire épouser par la veuve éplorée dont il a tué père et mari, capable de se gagner des alliés parmi les princes mais également parmi les plus humbles puis de les assassiner une fois son dessein servi, sans regarder s'il s'agit de sa propre famille qui se dresse entre lui et son but.
Dernière pièce d'une tétralogie historique librement inspirée de la fameuse guerre des deux roses qui opposa la maison royale de Lancastre à celle d'York, "Richard III", de William Shakespeare, relate l'ascension puis la chute brutale d'un tyran, mais expose surtout avec brio les subtils mécanismes d'un pouvoir politiques corrompu ainsi que la force de manipulation obtenue par la maitrise de la langue.
Jérémie Le Louët, metteur en scène et interprète du personnage de Richard III, a beaucoup travaillé sur le verbe et le rythme pour nous livrer une adaptation à la fois violente et lyrique de cette pièce passionnée. Il s'est inspiré de plusieurs traductions (dont celle de François-Victor Hugo) pour trouver le ton, le tempo et l'emphase qu'il jugeait en adéquation avec la langue baroque et parfois barbare du poète anglais, vouée à galvaniser les foules et à clouer les spectateurs sur leur siège par sa puissance.
Loin des adaptations françaises traditionnelles qui mettent en avant l'aspect psychologique et la subtilité de l'intrigue, Jérémie Le Louët a fui ce qu'il considère comme du bavardage et a mis en avant ce qui semble pour lui un formidable terrain de jeu pour ses expérimentations langagières et son goût pour le séquençage (déjà perceptible dans sa reprise du "Horla" au Théâtre Mouffetard à Paris).
En prenant le parti de mettre de côté les arguments historiques de la pièce, il recentre ainsi l'intrigue autours du protagoniste, objet de détestation mais également de fascination, sentiments déjà étudiés lors de sa dernière création.
Monstre. Plus qu'un simple personnage théâtral, Richard III est l'essence du théâtre même. Il en utilise tous les artifices pour parvenir à ses fins, de la séduction à l'imprécation, tout en étant lui-même l'instigateur de l'implacable machinerie qui finira par le broyer, faisant ainsi de son parcours un merveilleux divertissement dont le spectateur ne peut détourner son attention.
Pour illustrer sa vision, Blandine Vieillot imagine une scénographie épurée et abrupte : un plateau nu structuré par la seule lumière (dont on souligne la qualité, avec à la mise en oeuvre Thomas Chrétien), des changements à vue, des jeux de néons, froids et graphiques, une alternance de scènes jouées et de monologues assénés au micro, qui séquencent habilement le spectacle et imposent un rythme saccadé, violent mais également une atmosphère funèbre et crue jusqu'à l'apothéose finale, sanglante.
Très exigeante en ce qui concerne l'engagement physique des comédiens, cette adaptation de Richard III ne tolère ni tiédeur dans les intentions, ni hésitation dans les phrasés, ou, comme le dit si bien Jérémie Le Louët, dans "la graphique respiratoire des sentiments", qui doit être tout sauf académique (pour ne pas dire scolaire).
Chaque respiration, chaque intonation, semble être savamment dosée afin d'obtenir le rendu millimétrique imaginé par le metteur en scène. A ce difficile exercice, il faut bien avouer que c'est surtout lui qui excelle, en nous livrant une interprétation de Richard III plus que magistrale, même si Dominique Massat dans le rôle d'Elisabeth et de Stéphane Mercoryol dans le rôle de Marguerite et de Richmond se détachent également.
Voici donc un spectacle fort, qui va au bout de son parti pris et ne manquera pas d'ébranler le spectateur. |