Comédie dramatique de Roland Schimmelpfennig, mise en scène de Vincent Collet, avec Enora Boëlle, Samir El Karoui, Fanny Fezans et Laurent Micheli.
Avec cette comédie dramatique au titre intrigant, "Peggy Pickit voit la face de Dieu" de Roland Schimmelpfennig, la Compagnie Joli Collectif réussit un véritable tour de force.
Et celui-ci tient tant au travail de dramaturgie et de direction d'acteur du metteur en scène Vincent Collet qu'à la rigueur de jeu des comédiens qui concourent à un spectacle particulièrement réussi.
En effet, l'auteur allemand livre une partition dramatique techniquement ardue à porter sur scène puisque, bien qu'inscrite dans la linéarité, elle crée une pluralité concomittante d'espaces-temps génératrice d'arythmies, avec des retours sur des passés de différents niveaux, et repose sur une écriture circulaire complexifiée par une rythmique polyphonique qui ressortit du chant en canon.
Ce chant polyphonique pour quatuor en déréliction commence comme une légère comédie de moeurs par une situation banale du quotidien, un dîner entre amis, deux couples unis par une amitié estudiantine, qui se retrouvent après plusieurs années d'éloignement géographique sur fond de crise de la quarantaine et au travers du prisme particulier qu'est la mauvaise conscience occidentale des générations post-coloniales face au bourbier tant économique que politique, qui ravive de surcroît les rivalités ethniques, dans lequel s'enfonce notamment les pays du continent africain.
Leur éloignement correspond à des choix de vie différents, davantage même, diamétralement opposés, qui, rétrospectivement, les rendent tous aussi anxieux qu'insatisfaits.
Pour l'un, qui a choisi la quiétude bourgeoise avec ses signes extérieurs de réussite sociale et de bonheur, maison, voiture, enfant surdoué, est taraudé par le rêve inassouvi de l'aventure et la perte de l'idéalisme de la jeunesse.
Pour l'autre, l'engagement professionnel de longue durée dans le cadre d'une mission médicale humanitaire en Afrique s'achève par un départ précipité qui laissent ces médecins, pétris de bons sentiments, usés, malades, sans travail et sans projet d'avenir, interloqués par l'ingratitude de ceux auxquels ils se sont dévoués.
La situation implosive déraille très vite à coups d'opposition implicite et de petits règlements de comptes larvés entre amis jusqu'au KO final : match nul, pas de gagnant, que des vaincus.
Dans un décor simple de salon-terrasse, le huis-clos est parfaitement mené par les quatre comédiens qui jonglent avec brio entre les dialogues et les apartés et incarnent avec finesse la psychologie de chacun des personnages.
Le couple invité est interprété par Samir El Karoui et Fanny Fezans, lui en douleur introvertie, elle toute en émotion à fleur de peau et de coeur, et le couple d'hôtes par Enora Boëlle, parfaite dans le refoulement qui vire à l'hystérie, et Laurent Micheli dans la fausse indifférence.
Du bel ouvrage.
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