Quelle formidable initiative que celle prise par le Grand Mix de nous faire (re)découvrir tous ces artistes majeurs et emblématiques, de l'incroyable label Constellation, dans le cadre de ses 15 ans d'existence !
Après l'inoubliable concert donné par Godspeed You ! Black Emperor, à la Condition Publique en début de mois, le petit reporter ne pouvait donc qu'être conquis par cette programmation plus qu'exceptionnelle.
Matana Roberts donne le "La" pour la suite des festivités et arrive seule sur scène avec son instrument de prédilection, le saxophone.
La comparaison semblera tirée par les cheveux pour les plus puristes d'entre vous, mais Matana Roberts ne joue pas du saxophone, elle le dompte, comme Carlos Santana dompte sa guitare lors du fameux live de Woodstock, après être monté précocement sur scène alors qu'il venait de prendre un acide. Selon le principal intéressé, la vision de son manche de guitare s'étant transformé en un serpent redoutable qu'il fallait savoir amadouer afin d'aller chercher les notes les plus complexes, mais au final les plus justes.
Matana Roberts m'a semblé dans le même état d'esprit, mais sans besoin d'user de substances illicites, sa spiritualité étant tellement noble et dense que tout ne pouvait finir que par évoquer le concept de transe.
Son saxophone n'est alors pas comparable à un serpent, mais plus à une trompe d'éléphant qui essayerait de conquérir la jungle et les chants de coton qui l'entourent, afin d'obtenir le groove le plus pur qui soit, que l'on pourrait aussi secrètement considéré comme éthiopien.
La présence de la Dame est incroyable, mais le set manque cruellement d'ampleur, difficile alors de conquérir les mauvaises langues qui jugeront le set d'"inutile".
Mais la belle Matana a plus d'un tour dans son sac, et s'arrête pendant une impro free pour demander au public de l'accompagner en faisant un drone humain à la bouche. L'acoustique de la salle s'y prête parfaitement, et l'expérience est ultime, irracontable.
De plus en plus rares sont les artistes qui donnent, partagent et échangent de manière radicale, complètement décomplexés par rapport à leurs audiences dans le but de leur donner le beau rôle. Matana Roberts, c'est tout cela.
Alors que les mauvaises langues se taisent, ce concert fut une expérience humaine sans comparaison, le spectacle vivant dans toute sa splendeur.
Aussi il est complètement nécessaire de se procurer son dernier album, COIN COIN Chapter One : Gens de couleur libres, mystérieux chef-d'oeuvre d'engagement et véritable pavé dans la marre. Coin coin.
Thee Silver Mount Zion Memorial Orchestra est le side project du leader de Godspeed, et donc le créateur de Constellation. Autant dire que c'est du sérieux.
La formation est constituée de quatre membres, guitare/voix, basse/contrebasse, violon, batterie.
Le son est lourd, fort et atteint les tripes sans vergogne. Les morceaux sont longs, épiques, quasiment héroïques et essentiellement basés sur des montées mélodiques pop orchestrales à la croisée du drone.
Si tout cela est fort réjouissant au départ, la sauce finit par ne plus surprendre et devient prévisible sur la suite du concert. Et c'est bien dommage, car la présence sur scène est indubitable et le groupe est très bon, mais l'ennui se fait férocement ressentir.
En y réfléchissant à deux fois, il devient évident que le véritable problème vient du fait que le groupe n'est pas assez nombreux, et qu'une section de cordes plus conséquente aurait donné bien plus d'ampleur à la chose, comme sur les disques en fin de compte.
Six jours plus tard, rendez-vous à l'hospice d'Havré, salle intimiste et confidentielle de jazz, pour voir l'incroyable Colin Stetson, "le Jimi Hendrix du saxophone" comme le disait à juste titre David Fenech (grand guitariste contemporain français).
Il présente ce soir son dernier album, le génial New History Warfare Vol.2 : Judges.
Si l'on a souvent parlé du légendaire jeu de jambes d'Elvis Presley au cours de l'histoire du rock, il serait temps d'écrire un recueil sur le jeu de joue de Colin Stetson. Chaque chanson est un souffle unique et fait preuve d'une prouesse technique et sonore proprement ahurissante, d'une finesse quasi jamais atteinte dans ce genre de performance.
Colin Stetson utilise deux saxophones radicalement différents de part leur taille, si je ne m'abuse un alto et un ténor. D'ailleurs, si Matana Roberts dompte une trompe, celui-ci dompte carrément une baleine.
De plus, un micro est relié à ses cordes vocales et il gueule littéralement dedans, comme pouvait le faire le grand Albert Ayler à son époque.
Néanmoins, tout cela n'est pas free, mais proprement écrit, les compositions fantomatiques étant des sortes de valses qui évoquent des images passées, des souvenirs. Mais ce n'est pas tout car chaque pièce est basée sur une musique avant tout percussive, de part un jeu avec les touches du saxophone hyper inventif, relié à plusieurs micros au coeur de l'instrument.
Néanmoins, le meilleur moyen de profiter pleinement de ce type de musique, disons-le franchement avant-gardiste, est encore de ne pas l'analyser et de se laisser porter par la performance proposée.
Ce n'est pas une musique qui s'écoute mais définitivement qui se vit, et qui prend tout son sens et son ampleur en live.
Vous l'aurez compris donc, Colin Stetson est une figure contemporaine immanquable, pour quiconque s'intéresse à ce genre de courant.
En première partie, nous était proposé l'impeccable Jason Van Gulick, formidable batteur que nous avons déjà chroniqué ici, et qui nous livra un set impeccable, encore une fois très inventif, mêlant avec brio des montées à la limite du Hardcore, et d'autres moments plus expérimentaux résolument Krautrock, prouvant qu'il est en parfaite symbiose avec son instrument.
Son premier disque vient d'ailleurs de sortir, et est plus que recommandable.
PS : L'on regrette, tout de même, l'absence d'Eric Chenaux, guitariste virtuose et visionnaire, lors du passage de la tournée Constellation à Lille.
L'on vous recommande alors de s'intéresser à sa discographie éclectique, bourrée de trouvailles sonores, et plus récemment à son dernier album en duo avec Eloïse Decazes (Arlt), véritable must de cette fin d'année.
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