La meilleure façon d'entrer dans la pensée d'un auteur est-elle d'en lire un abrégé ? Pour 3 euros, on peut s'offrir une dose de Michel Onfray ; l'Abrégé hédoniste paru le 17 Octobre dans la collection Librio est en fait une reprise du Manifeste hédoniste paru en 2011. De fait, c'est bien à un manifeste que l'on a affaire, plus qu'à une réelle définition de l'hédonisme ou à un panorama historique du concept – choses que le lecteur retrouvera dans d'autres ouvrages de Michel Onfray ou dans les enregistrements de sa Contre-histoire de la philosophie.
Ce petit livre-ci est sec, nerveux voire énervé, et laisse au final l'impression d'être beaucoup plus "contre" que "pour". Cela tient pour partie au format très resserré ; n'ayant pas l'espace d'approfondir vraiment son réquisitoire contre ses ennemis préférés (Freud, les écologistes, les religions, tous ceux qui dans le monde actuel et passé auraient pu tomber sous les coups de marteau du Nietzsche de la Généalogie de la Morale), il utilise un style qui rappelle un peu, par l'usage de formules-choc et de véhémentes épithètes, la prose des syndicats en période de négociation des grilles salariales. Plus on entre dans le livre, et plus on croule sous les "-ismes" et les "-iques". Il y a peut-être là de quoi fouetter les sangs de ses fans les plus ardents, ou donner à certains l'envie de réagir (un réveil de la pensée somnolente est toujours bienvenu). Ceux en revanche qui avaient apprécié L'Art de jouir par exemple (ouvrage également consacré à l'hédonisme) regretteront une écriture qui, pour vanter une philosophie du jouir et du faire-jouir, chante bien peu.
Sur le fond, Michel Onfray aborde méthodiquement six volets sur lesquels la philosophie hédoniste a une orientation à proposer : psychologie, éthique, esthétique, érotique, bioéthique et politique. Selon lui, ces domaines de la pensée ont été occupés sans partage par Platon et la théologie, au prix de la mise sous silence d'une certaine pensée matérialiste et athéiste, y compris aujourd'hui encore dans notre Université soi-disant laïque.
Du point de vue psychologique et éthique, il oppose aux exigences toxiques d'une morale impraticable génératrice de culpabilité, une règle du jeu immanente n'acceptant d'autre impératif catégorique que celui du principe de plaisir et de l'évitement de la souffrance pour soi et l'autre. Sur le plan esthétique, il dénonce l'intellectualisme élitiste post-duchampien, et propose à l'art, désormais en deuil du Beau, de viser le sublime. Son érotique – "supplément d'âme" pour la sexualité – s'oppose aussi bien au schéma chrétien qu'à l'ennui pornographique. En matière de bioéthique, il considère que tout ce qui peut augmenter la jubilation à être est légitime, et défend la technophilie face au principe de précaution.
Enfin, sur le plan politique, il appelle à remettre au goût du jour la formule libertaire de Proudhon, et à une action révolutionnaire modeste mais immédiate, à l'échelle de chacun et de ses interactions. "En politique, dit-il, l'hédonisme se résume à la vieille proposition utilitariste des Lumières : il faut vouloir le plus grand bonheur du plus grand nombre". Chaque chapitre porte son lot de dénonciations et d'adversaires identifiés ; en face, des pistes sont ébauchées. Charge au lecteur d'approfondir le sujet pour comprendre comment peut trouver à s'appliquer dans les faits cette philosophie. |