François Saintonge, auteur anonyme et souhaitant le rester au point de prendre un nom de plume et taire son identité, publie un roman dont le titre, "Dolfi et Marilyn", ne manque pas d'accroche pour exciter la curiosité du lecteur.
En effet, par quel hasard historique méconnu ou subterfuge de romancier se trouvent ainsi réunis le dictateur du IIIème Reich
évoqué par son petit nom intime et la poupoupidou star iconique
?
Tout commence sans tambour ni trompettes avec un narrateur quinquagénaire, dont l'originalité du prénom (Tycho) égale la banalité de son patronyme (Mercier), passionné d'Histoire avec une majuscule, notamment celle de la seconde guerre mondiale, et qui, comme il le dit lui-même avec un humour et un sens de l'autodérision alleniens, à défaut de la faire ou de l'écrire, se contente de l'enseigner en faculté et à son jeune fils dont il a la garde.
Récemment divorcé d'une épouse, son ex-étudiante de quinze ans sa cadette partie ailleurs vivre son jeunisme, il mène une petite vie tranquille de Français moyen dans un douillet pavillon de banlieue jusqu'au jour où il trouve, assis dans "son" fauteuil, un étrange jeune homme en costume tyrolien dont la physionomie ne lui paraît pas inconnue.
Sûr que non puisqu'il s'agit de celle d'Adoph Hitler jeune dont le quidam est un clone, lot d'une tombola gagné par son ex-épouse qui lui a expédié. Et avant même de comprendre tout à fait dans quelle galère il se trouve entraîné, Tycho Mercier voit sa demeure investie par un deuxième clone, celui de Marilyn Monroe, qui vient se réfugier chez lui après l'attaque cérébrale de son "propriétaire" qui occupe une maison voisine.
Encore faut-il préciser que les faits se déroulent dans un futur proche où les hommes ont renoncé à la technique lourde de fabrication de robots androïdes pour y substituer celle ô combien plus "naturelle"
du clonage humain issu de la nouvelle science qu'est la biotechnologie et que la dernière mode réside en la fabrication de clones de personnalités et de personnages historiques réduits à l'état ancillaire pour satisfaire les névroses, voire les psychoses, de ceux qui ont les moyens de les acheter.
Disposer d'une domesticité à bon compte qui plus est docile, gratuite et sans vélléité contestataire, lui aux travaux divers, elle, parfaite femme au foyer de la cuisine à la chambre,
n'est pas négligeable et tout pourrait ainsi aller pour le mieux dans le meilleur des mondes si une deuxième précision, non des moindres, tient à ce que la détention de ces deux clones est illégale.
En effet, Dolphi, officiellement A.H.6, constitue le dernier exemplaire d'une série "interdite" et retirée de la circulation suite aux problèmes qu'elle a engendrés et Marilyn est un clone clandestin, deux bonnes raisons de finir en prison d'autant que des voisins "bien" intentionnés ont agi en bons citoyens délateurs.
Par ailleurs, et, en tout état de cause, la petite voix de sa conscience gêne Tycho Mercier aux entournures : il peine à traiter ces êtres ambigus comme des esclaves et est titillé par des questions métaphysiques sur la nature de ces êtres "trafiqués", ces "enfants sans mémoire" conditionnés pour n'avoir ni ego ni amour propre totalement soumis à leur propriétaire à qui ils sont vendus comme des biens de consommation.
L'intérêt de ce roman ne tient pas à son argument de départ, le thème du clonage et la manipulation des foetus, qui a déjà été maintes fois abordé, notamment par Aldous Huxley et ce dès le début du 20ème siècle dans "Le Meilleur des Mondes" basé sur une évolution technologique qui n'a plus rien de spectaculaire aujourd'hui, mais au fait qu'il se situe à la frontières des genres.
La bonne idée de François Saintonge qui fait l'intérêt de ce roman,
outre le rebondissement qui
corse l'intrigue au suspense bien tenu et un double dénouement totalement inattendu dont la primeur est laissée au lecteur, est de ne pas avoir écrit un roman d'anticipation au sens classique du terme.
Il ne se lance pas dans une dystopie, même si elle existe en filigrane, avec une analyse éthique, métaphysique ou politique, pour rester au niveau de l'individu, ce qui favorise l'identification du lecteur, ou comment un homme de bonne volonté, un homme ordinaire qui n'est ni un super héros à la "Die Hard" ni un anti héros loser patenté, réagit face à un tel événement qui génère une situation kafkaienne et un dilemme humaniste, livrer les créatures aux autorités signeraient leur arrêt de mort, d'autant que, de surcroît, les dés sont pipés.
Car bien évidemment la problématique eut été différente avec des clones anonymes ou même des clones historiques mais dont la personnalité de l'original ne viendraient chatouiller ni sa conscience politique ni sa libido.
Et c'est à partir de ces réactions individuelles et donc subjectives qu'il aborde les questions tenant aux dérives possibles de la biotechnologie, aux frontières entre l'inné et l'acquis, le déterminisme génétique et l'hérédité criminelle, la nécessité d'une redéfinition de l'humain, le débat entre le corps et l'âme.
"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" écrivait Rabelais au 16ème siècle et le narrateur de "Dolfi et Marilyn" vit une aventure dont il cerne l'enjeu de manière radicale ("La résurgence de l'esclavage était inscrite au coeur de l'acceptation du clonage"), qui révèle l'ambivalence des sentiments face à des êtres particuliers ("Il y avait de grandes chances pour que ce fût simplement un abruti, un bonsaï intellectuel, une manière d'esprit en pot taillé, bridé, étouffé par le traitement subi dès l'origine dans sa forcerie natale", "La simple humanité commandait de le nourrir et de l'héberger pour cette nuit") ainsi que les recoins sombres de son âme ("L'espace d'une seconde, idée d'un remède drastique, quelque chose comme une solution finale du problème, se présenta en moi").
Ainsi François Saintonge aborde-t-il par le biais d'une passionnante venture hors du commun des questions graves avec humour, et humour noir, et se garde bien de donner de doctes et définitives réponses. |