Ces mots, à l’instant où je les dépose, je me languis de connaître la note qui sera gravée sur le cuivre du carnet de bord du musicien. Erik Truffaz. Le 28 mars 2013. A l’Aéronef. Bientôt le trompettiste se remémorera la salle lilloise. Il écrira - qui sait ? - l’émotion du son, rétines et pupilles, le piquant du Nord sur les pistons, les va-et-vient habituels de mousses au devant de la scène.
Ces mots, avant que je les libère, je vagabondais. Et, alors que je pesais le pour et le contre de mes pensées, tout en feuilletant les pages de l’artiste, je tombai nez à nez avec le journal de bord que tient le musicien. A chaque concert, son petit commentaire aigre ou doux. Je le dévorai littéralement. Était-ce le goût de la curiosité ? Des mots simples mais vrais ? Des émotions prises sur le vif ? J’aime ces dons que font les artistes, même avec autant d’années en arrière, autant de duos exceptionnels, autant de lieux traversés. Précieuses traces écrites données à coeur ouvert.
Ces mots, lus, je me demandais comment j’allais modeler les miens. Rester vrai toujours. Et puis, je me suis souvenue, que pour réconforter l’estomac malade de mon ami photographe, je lui dessinerai une trompette. Et là, je me grattais les neurones en pensant très fort au Petit Prince. Dessine moi la trompette de Erik Truffaz Quartet...
Sa trompette, il la bichonne comme sa pupille musicale.
Les musiciens s’installent sur la scène : Marcello Giuliani à la basse, Marc Erbetta à la batterie, Benoît Corboz au clavier - au passage, monumental ingénieur de son du quartet. Le quatrième homme, Erik Truffaz, apparaît, valise à la main, élégamment vêtu, un chapeau à jamais vissé sur la tête. Venait-il de sauter hors du train ? Il fait cliqueter les verrous. La coque s’ouvre. Elle est là, brillante, dans son écrin.
Sa trompette, si je lis bien entre les lignes, il ne la quitte plus depuis 2010.
Un soir de décembre froid à Zurich, ces lèvres rencontraient la ligne Inderbinen. Leur précision, leur vibration le possédaient. Il faut dire que, dans son atelier suisse, Thomas Inderbinen façonne ses trompettes avec une précision d’orfèvre. Il accomplit un travail titanesque : des heures entières, au marteau, pour dessiner la courbure du pavillon et donner cette possibilité de produire le son rêvé.
Sa trompette, il la pare de bijoux qui sembleront rocambolesques pour les puristes de jazz.
Quand Miles Davis explora la mixité acoustique-electrique, ajoutant des pédales wa-wa, certains pensèrent qu’il vendait son âme de jazz-man. Mais il était surtout possédé par le jazz et les richesses que l’ouverture musicale pouvaient lui apporter. Le jazz-rock, jazz-fusion était né. A l’image de ce "dieu de la trompette", Erik Truffaz aime, certes, le son juste mais aussi les effets qui lui tordent le cou, le dispersent, le cisaillent, l’explosent, le transforment. Le paysage de ces compositions en est d’autant plus fleuri : planant, atmosphérique, organique. Cette voie, il l’explore depuis 2003 avec The walk of the giant turtle, album-pivot marqué par ses choix de compositions clairement rock.
Sa trompette, il la sublime dans un ensemble virtuose.
Ses trois musiciens développent autour de son jeu un accompagnement terriblement vibrant. Et, voguant sur une rythmique drum & bass déchaînée, soulignée par un clavier frénétique, Erik Truffaz développe ses phrasés tout en longueur, tout en lenteur, poétique. Son dernier album, El tiempo de la revoluciòn, paraît être un voyage. C’est, l’explique-t-il, un regard sur les moments de révolution qui se succèdent tout au long de la vie.
Avant ces mots, avant ce concert, je ne connaissais rien du groupe Erik Truffaz Quartet. Quelques bribes. Pourtant le jazz dans la peau, je me cachais pudiquement derrière mon voile Miles Davis-sien. Qui mieux que Miles pourrait offrir l’extase jazz à la trompette, voyons ? Il aura fallu ce concert. Etonnant. Dès le premier morceau, je suis devenue béate d’admiration, emportée dans l’univers Truffaz-ien. Je me suis plongée dans la justesse des compositions, l’ouverture et la richesse musicale, la générosité du travail... pour retrouver cette extase jazz.
En première partie du concert, le groupe lillois Bazz Phaz. Mélangeant jazz et hip-hop, le groupe dégage une énergie communicante. Contraste avec un public assis. Le groupe soupçonne d’avoir été choisi pour leur nom en "azz". Rires. Contraste avec Erik Truffaz ? Pas tant que ça ! Du reste, des musiciens et une plume de qualité donnent à penser que l’affaire est à suivre... |