Pour beaucoup d'amateurs des Bad Seeds, le départ de Blixa Bargeld (en 2003) avait déjà eu des airs de douche froide. La légende veut que le guitariste ait fini par claquer la porte en déclarant que si c'était pour utiliser sa guitare comme une guitare, il ne voyait pas l'intérêt de continuer avec les Bad Seeds. De fait, il se consacre depuis intégralement à son autre projet : Einstürzende Neubauten.
L'histoire est probablement tout à fait fictive, mais elle illustre bien ce que l'on peut penser de l'évolution des Bad Seeds entre 1983 et 2003 : ces gars-là s'assagissent. En soi, on peut n'avoir aucun problème avec cela. Le contraire serait peut-être même un peu ridicule. Imaginez, des papys de cinquante années passées en tenue de soirée qui gesticuleraient en beuglant un punk gothique imprécateur. Au pire, cela s'appellerait Grinderman, et l'on en saluerait surtout l'énergie – à défaut du génie.
Il faut bien reconnaître, d'ailleurs, que certaines des livraisons des Bad Seeds ces dix dernières années sont loin d'avoir démérité. Jusqu'à la discographie personnelle de Nick Cave, l'âme et le leader de tout cela, avec par exemple quelques bandes originales d'une grande finesse, composées avec Warren Ellis, nouveau meilleur ami.
On pouvait cependant craindre que le départ de Mick Harvey en 2009 ne porte un coup réellement dur à la formation. Que l'on y songe : l'ami du lycée, collaborateur pendant trois décennies, éternel second, l'acolyte indispensable, si ce n'est le faire-valoir prodige...
L'on se rassure dès la première écoute de Push the sky away, premier album sans Harvey : loin, très loin d'être un mauvais album. Mais l'album, composé de neuf chansons douces à la structure et aux sonorités finalement très classiques (... une guitare comme une guitare...), n'a pas la grandeur d'un No more shall Shall we part, le dépouillement d'un Boatman's Call, la colère d'un Abattoir Blues / Lyre of Orpheus.
Tout y est à l'image du très sage We no who U R, single radiophonique paisible : propre et appliqué, mais sans magie. On retrouve avec plaisir la voix et les manières de Cave, mais l'entrain n'y est pas. L'inspiration non plus, peut-être ? Bien sûr, les compositions doivent s'apprivoiser et, écoute après écoute, révèlent leur profondeur discrète, se laissent adopter. Un album de Cave & the Bad Seeds reste un album de Cave & the Bad Seeds, soit : un moment de beauté, délicate pièce d'orfèvrerie. Mais l'album ne s'élève pas jusqu'aux sommets déjà si souvent foulés par le passé. Un album suffisant pour se rassurer, en tout cas. Et se dire qu'il y a lieu, tout au moins, d'attendre le prochain avec espoir. Le roi Cave n'est pas mort, vive le roi ! |