Pour son deuxième album, le trio Versari, emmené par Jean-Charles du même nom, délaisse les balades douces de son premier effort (Jour après Jour, 2007) et propose un rock hérissé, électrique, épidermique noir et sensuel, bancal comme les premiers Joy Division, élégant comme des Tindersticks en colère – et signe probablement l'un des meilleurs albums français de cette année 2013.
On pourrait croire reprendre l'histoire là où Les Hurleurs l'avaient laissée en 2002 avec l'impérial Blottie : un lenteur, une noirceur, une tension magnétique. Et la patte d'Adrian Utley (Portishead), revenu jouer quelques guitares et claviers mais aussi, pour la première fois, réalisé l'album. Ce ne serait pas totalement faux, mais ce serait passer à côté d'une dimension supplémentaire d'Ostinato : une certaine folie, obsessionnelle, brouillonne, qui lui donne une écriture bien plus directe, un son bien plus brut. Plus proche de Birthday Party et de la rencontre avec Blixa Bargeld que des derniers Bad Seeds et des projets avec Warren Ellis, sur l'échelle de Nick Cave.
Littéraire sans affectation ni tours de plume trop virtuoses pour être honnêtes, Ostinato est surtout un album existentialiste, où le désarroi est une présence tiède, où la vie, l'amour, la mort sentent la sueur, ont le souffle court de s'être trop cognés aux murs. Une faim, une envie. Un sentiment d'impossibilité perpétuelle. Un cri pour réclamer le silence, qui répond à d'autres cris réclamant le silence. Foule solitaire. Frayeur claustrophobe d'être enfermé en soi-même. S'anesthésier, s'assommer, s'oublier.
On sent derrière chaque titre, au-delà de la seule inspiration, déjà remarquable, la capacité du groupe à se mettre au service de ses compositions, abolissant un peu de la tentation du contrôle que l'on peut avoir dans le commerce de la musique, évitant sans effort le piège de se regarder jouer et toucher du doigt une évidence musicale. Jusqu'au cou empêtré dans sa propre musique, avec juste l'obstination de dire – et certainement est-ce de là qu'elle tire son authenticité, sa sève, sa vie, son génie, qui échappent totalement aux intentions de ses auteurs. |