"…tu peux être irisé, ou même incolore
Mais que rien ne t’arrête
Pas même le temps
[…]
Murmure et glisse-toi"
Conseils au poète, Sans phrases, 1954
On peut l’ouvrir dans n’importe quel sens, ne pas forcément connaître la vie de l’auteur, choisir un long ou un court, cela n’a pas d’importance.
Philippe Soupault nous fait voguer à travers un florilège de ces textes de 1917 à 1971, des poèmes formels, ou d’autres libres, parfois seulement un quatrain sur une page dont l’espace vide devient signifié. Ses mots sont travaillés mais accessibles, il traduit très bien la force du temps, saisit la courbure d’une émotion. On peut l’ouvrir plusieurs fois dans une même journée et à chaque fois y puiser ce que l’on cherche. La poésie n’est pas un exercice élitiste, elle est pourtant un genre qui rebute, mais n’hésitez pas à choisir ce recueil Poèmes et poésies.
Car si Philippe Soupault est un des noms du surréalisme avec André Breton, son style ne se borne pas à l’automatisme scriptural, et ce "trop de littérature" qui le fit exclure du mouvement est aussi la raison de la beauté de ces poèmes. On sent bien sûr cette liberté de l’imagination, cette "volonté d’ouvrir toute grande les écluses" et une exploration du fonctionnement réel de la pensée, mais le texte n’est pas seulement le résultat d’un processus de libération de l’écriture, le texte est esthétique, et les poèmes font sens.
La parole poétique de Monsieur Soupault allie magistralement l’efficacité de l’échange et la manipulation ludique des mots. Il n’y a pas de gratuité verbale qui rendrait les poèmes obscurs, mais il nous fait saisir avec jeu et profondeur des thématiques cruciales comme la mort, l’amitié, l’amour, l’inéluctable temps qui passe et parvient à donner corps aux sensations, son à l’ineffable.
"enfant du jour enfant des nuits
apprenez à parler avant de vouloir dire
ce que vous pensez et ce que je pense
mais surtout pas de gros mots"
Le temps qu’on perd, Chansons, 1949 |