Ceux qui ne connaissent pas Daniel Johnston ne sont probablement pas en train de lire cette chronique. Mais si cela s'avère nécessaire, nous renvoyons l'improbable néophyte au film documentaire The Devil & Daniel Johnston que lui a consacré Jeff Feuerzeig en 2005 – dont on sort avec des sentiments aussi mêlés qu'après War photographer, autre film documentaire, de 2001 cette fois, où Christian Frei, sur les pas du photographe de guerre James Nachtwey interrogeait la limite, forcément problématique, entre la dénonciation, la démarche créative et le voyeurisme plus ou moins malsain.
Ce contexte étant bien reposé, on comprendra que l'on ne puisse pas réellement dire de cette bande originale tout le mal musical qu'un individu non informé pourrait en penser à la première écoute. Sérieusement : ce disque n'est pas très bon, quoique ce ne soit vraisemblablement pas la question. Il est parfaitement fidèle, en tout cas, à la musique que Johnston produit depuis une trentaine d'années et qui a le pouvoir de toucher.
Le disque est composé de sept titres inédits de Daniel Johnston lui-même et d'autant de compositions par d'autres groupes (Jake Bug, Fruit Bats, Eleanor Friedberger, Deer Tick, Die Mason Die, Unknown Mortal Orchestra, Lavender Diamond), elles-mêmes tout à fait fidèles à l'esprit de Johnston, quoique plus léchées, moins brutalement art.
Quatorze compositions, faut-il le préciser, entièrement consacrées au thème des canards de l'espace, protagonistes du roman graphique Space Ducks, An Infinite Comic Book Of Musical Greatness, publié par Johnston en 2012, dans un style graphique et un esprit parfaitement fidèle à ceux qui ont rendu célèbres ses pochettes d'album.
Autant dire : un monument dérisoire élevé à la gloire de la culture pop hérité des 60's et 70's américaines, où l'on rêvait d'héroïsme et de conquête de l'espace – celle, aussi, où l'on a inventé le merchandising, la surconsommation, le marketing culturel et même un certain cynisme capitaliste assumé. Hey quoi ! Il y a aussi une application smartphone dédié aux canards cosmiques et pour seulement 24,95$, vous pouvez obtenir un exemplaire signé de la B.D. Ne tardez pas... Amusant, dans un sens, comme Johnston, l'air de rien, parvient encore à interroger notre attitude de consommateur culturel indie-hype. À moins que...
L'esprit de Daniel Johnston est un pays en guerre et chacune de ses nouvelles productions est une bataille de plus. Victoire ? Défaite ? Cela importe-t-il, finalement ? |