"Enfant de fer" de Mo Yan
Paraît en avril 2013 dans la Collection Points des Editions du Seuil, un recueil de seize nouvelles écrites par l'écrivain chinois Mo Yan, lauréat du Prix Nobel de littérature 2012.
Le recueil intitulé "Enfant de fer" s'articule autour d'une thématique unique, celle de l'enfance, qui est déclinée selon un registre syncrétique qui tient de l'épopée rurale dans une campagne pauvre touchée par la famine, du récit autofictionnel d'un enfant né en 1955 qui a grandi pendant les années du "Grand Bond en avant", celles de la mise en oeuvre de la politique économique du Grand Timonier, de la tradition populaire chinoise du conte et de la fable initiatique.
Mo Yan emprunte aux genres du réalisme magique et du merveilleux, bien rendu par la belle plume poétique de la traductrice Chantal Chen-Andro, pour transcender la réalité des faits, des choses et des gens, telle qu'elle est perçue par les yeux de l'enfant.
La réalité c'est le respect des anciens, avec le rôle de transmission de l'ancêtre, avec la structure familiale traditionnelle de cohabitation de plusieurs générations, et l'amour maternel mais aussi la pratique de l'infanticide des filles dont la naissance est considérée par les familles comme un désastre.
C'est aussi la condition paysanne touchée de plein fouet par la révolution industrielle voulue par Mao Zedong qui réquisitionne les adultes pour la construction d'une voie ferrée ce qui entraîne un accroissement des enfants orphelins et abandonnés.
"Le musée du Dr Moses" de Joyce Carol Oates
Le titre de ce recueil de nouvelles de l'américaine Joyce Carol Oates, "Le musée du Dr Moses", corroboré par l'illustration de couverture, donne déjà un avant-goût du registre exploré, celui des histoires à faire peur et à ne pas lire la nuit d'Alfred Hitchcock, déconseillé aux âmes nerveuses et sensibles.
Le parti pris tient à l'irruption de l'étrange, l'inquiétant, l'inattendu, le burlesque, le fantastique voire l'épouvante dans le quotidien, le banal, l'ordinaire à la manière de la série télévisée américaine "La Quatrième Dimension", diffusée en France dans les années 60 puis dans les années 80.
Pour Joyce Carol Oates, une bête est tapie derrière des apparences policées et elle articule ses récits autour de la rupture de l'équilibre psychique et comportemental de l'individu causé par un élément anodin ou un incident mineur qui normalement passerait inaperçu mais qui, à un instant donné, va agir à la manière de la goutte d'eau qui fait déborder le vase, générant une réaction aussi violente et imprévisible que disproportionnée.
Ainsi, la première nouvelle (Salut ! Comment va !") est exemplaire. Le jogger poli et facétieux qui, tout en courant, accompagne son salut d'une tape joueuse sur les fesses ou coup de coude empiétant sur l'espace vital et l'intégrité, surprend ses "victimes" jusqu'au jour où l'une d'elle lui répond par un coup de revolver qui lui cloue définitivement le bec.
"Les lunes de Jupiter" de Alice Munro
Le quotidien forme également le terreau littéraire de la canadienne Alice Munro mais dans un registre bien différent, celui de l'introspection.
Une introspection plus mélancolique que nostalgique guidée par le temps qui passe qui agit comme un filtre révélateur, à l'instar du développement d'une photo argentique qui révèle une réalité parfois différente de celle mémorisée par l'oeil,
d'où cette allusion aux découvertes successives des lunes de Jupiter.
Car rien n'est immuable et tant la perspective que l'acuité du regard se modifient. Au lieu de tresser les fils du récit dans le cadre d'une conventionnelle narration linéaire, Alice Munro déroule de manière kaléidoscopique, et chronologiquement à rebours, le chemin des vies, souvent des vies de femmes, imbriquées dans des histoires de famille pendant les années 50.
Ce sont autant de portraits de femmes ordinaires délivrés en forme d'instantanés presque tchekhoviens qui constituent simultanément une galerie de portraits attachants et une belle réflexion sur le temps ramené à l'échelle d'une vie.
"Une collection très particulière" de Bernard Quiriny
"Une collection très particulière", là encore un titre judicieux pour
une série de nouvelles présentées de manière dispersée mais qui se réfèrent expressément à trois séries thématiques bien distinctes ("Une collection très particulière", "Dix villes", "Notre époque").
Elles présentent cependant deux points communs : ressortir à l'imaginaire de l'absurde trempé de pataphysique et au collectionnisme obsessionnel.
Ainsi Bernard Quiriny explore la bibliothèque d'un amateur éclairé nommé Gould en faisant l'inventaire de livres qui n'existent pas et découvrant la section des écrivains reniés, crée des villes imaginaires pour maniaques et psychotiques, telles la ville du silence et celle dont tous les lieux portent le même nom, et évoque les tracasseries de la ville du futur qui connaîtrait la résurrection de masse, le changement de nom à la carte et la permutation des corps.
A conseiller à ceux qui ne sont pas allergiques au systématisme d'un procédé
littéraire qui, par ailleurs, s'attache davantage aux idées et aux phénomènes qu'aux individus.
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