C'est coincé dans l'afterworld que Salinger s'intéresse enfin. Lui, le génie créateur isolé de The Catcher in the Rye, et donc du mythique Holden Caufield. Les sillons de Sidération lui parviennent depuis l'outre-tombe. L'effet est garanti.
Avec ce disque, Holden touche au sublime. Non pas que ce n'est jamais été le cas, bien au contraire, chaque album étant de véritable perfection pop. Oui, mais cette fois c'est différent, Holden nous livre ici son disque le plus sombre et cette galette est encore mieux que les autres.
N'y allons pas par quatre chemins, il s'agit d'un chef-d'oeuvre total, aussi bien littéraire que musical. Les 42 minutes de l'album fourmille d'une folie créatrice inédite jusqu'alors dans nos contrées, la prise de risque est constante, le résultat exceptionnel.
Le morceau "Quel ami" est un cas d'école et résume bien l'affaire. Il s'agit d'un titre aux ambitions martiennes, tant il semble ancré dans une autre réalité. Honnêtement, je n'ai pas le souvenir d'avoir entendu un truc pareil, tant cette merveille de précision est brillamment pensée, écrite et arrangée. Le meilleur de la musique pop se confronte à des expérimentations sonores et des bidouillages électroniques harmonieux de manière contemporaine. Le milieu du morceau est un sommet de création sophistiqué. Cela peut paraître exagéré mais c'est le genre de chanson qui donne envie de balancer Revolver des Beatles par la fenêtre tant "Tomorrow Never Knows" semble dépassé en comparaison. (D'ailleurs, le mec qui a flingué Lennon portait sur lui le bouquin de Salinger. Tu la sens la logique ?).
Le reste de l'album est du même niveau. La voix d'Armelle Pioline n'a jamais été aussi belle, aussi touchante. Les mots sont des poèmes, les mélodies de chant sont imparables ("Des yeux et des merles", qui est aussi un bijou d'allitération, en est le parfait exemple).
Mocke, génie de la jazzmaster, est hallucinant d'idée guitaristique et d'écriture. Il vogue entre solos épiques ("C'est pas de mots"), dérives soniques ("Les bouteilles de ciel"), ambiances caverneuses ("L'air de la vie"), folk traditionnel ("Mais je vis avec eux"), mais toujours finement teinté de jazz, celui de Lee Underwood pour ne citer que lui. Dans l'esprit, et non au niveau de l'ambiance, toute cette création autour de la six cordes électrifiée peut évoquer le Scary Monsters de Bowie, l'un des derniers grands disques de guitares aventureuses et réfléchies, dans lequel Robert Fripp s'illustrait de manière inédite.
La section rythmique est implacable et groove furieusement. Emmanuel Mario à la batterie et Julien Gasc à la basse sont en parfaite symbiose, l'un répond en permanence à l'autre tout en se complétant, bref la mathématique pop dans toute sa splendeur.
Mais tout cela ne serait rien sans le son tout bonnement divin dont bénéficie le disque, qui fut enregistré et mixé par un certain Michel Peteau. Un peu d'histoire à ce sujet, puisqu'en plus d'être actuellement le guitariste de Superbravo, side project d'Armelle Pioline, ce dernier est aussi l'ancien leader du légendaire groupe Cheval Fou, que l'on pouvait retrouvé sur les routes de France dans les années 70 en première partie de groupes comme Can. Un disque live emblématique couvrant cette période fut d'ailleurs édité en 1994 chez Legend Music et reste l'unique trace du band. Michel Peteau fut aussi l'auteur et le guitariste d'un des manifestes les plus underground de la musique Zeuhl, avec l'album éponyme Nyl (sur lequel l'on retrouve Jannick Top à la basse) sorti en 1976 chez Urus Records, qui est vivement recommandé aux adeptes de la musique obscure française qui ne jurent que par Magma ou Heldon.
Inversons les lettres et revenons à Holden donc, et à ce son incroyablement riche et ouvert aux nombreuses expérimentations sonores que les compositions proposent. En plus d'être définitivement pop, Sidération a en lui un côté progressif qui devrait rendre jaloux Jean-Claude Vannier. L'écriture et la composition d'un titre comme "L'air de la vie" semblent sortir de Melody Nelson par exemple, jusqu'au niveau du son avec ses basses rondes. Progressifs également au niveau des tiroirs, les morceaux sont imprévisibles (le pont de "B&B" est très inattendu voire surprenant), ainsi que dans l'emploi des claviers (du Mellotron sur "Mais je vis avec eux").
Vous l'aurez donc compris, il faut se jeter sur ce disque dès sa sortie car il n'est édité qu'à 500 exemplaires vinyle. Et croyez moi, votre discothèque vous en voudra à vie de ne pas avoir mis la main sur ce sommet de la musique made in France. Car dorénavant, il y aura les mauvaises périodes, celles où l'on n'écoutera pas Sidération. |