A l'occasion de son
concert à Orléans, nous avons rencontré Florent
Marchet,un nouveau venu dans la chanson française
dont le premier album Gargilesse
est sorti en mai 2004.
Une belle rencontre...
Tout d’abord, pouvez-vous m’expliquer
brièvement votre parcours ?
Florent Marchet : Le parcours en fait commence
à cinq ans, très jeune. Je me suis dans un premier
temps passionné pour la musique classique du XIXème
siècle. J’ai découvert le jazz vers dix-huit.
Dès l’âge de dix ans, c’est un peu comme
si j’étais mis sur des rails, je voulais que la musique
fasse partie intégrante de ma vie. En tout cas, mon souhait
le plus cher, à l’âge de vingt ans, c’était
d’en vivre, donc pas forcément d’être chanteur
mais avant tout faire des concerts, être sur scène.
Donc j’ai fait énormément de
pianos-bars, j’ai fait partie d’un groupe de musique
tzigane puis irlandaise. J’ai fait un peu de tout et même
un peu de tous les instruments en fin de compte parce que je me
suis rapidement aperçu que le piano c’était
pas suffisant, qu’il fallait un peu maîtriser les instruments
qui se déplacent plus facilement comme la guitare, j’ai
fait un peu de mandoline, même de l’accordéon
; enfin bref plein d’outils qui me permettaient aussi de me
chercher, de me sculpter un peu.
Vos origines berrichonnes m’intéressent
puisqu’elles sont les mêmes que les miennes. Le Berry
est-il une source d’inspiration ? Le revendiquez-vous comme
une marque de fabrique ? En bref, qu’est-ce que cette région
représente pour vous ?
Florent Marchet : Ce sont des racines... Moi j’ai
réalisé l’attachement que j’avais à
cette région, à mon village, aux paysages, simplement
lorsque je suis arrivé à Paris, où je voulais
vivre de la musique. J’étais très content de
quitter le milieu rural qui me pesait. Je pense que tous les ados,
tous les jeunes, ça les pèse au bout d’un moment
et c’est un peu normal mais je me suis aperçu rapidement
que j’étais pas forcément fait pour la ville
et que j’étais attaché aussi à mon histoire,
à la musique de cette région, à la distance
que mettaient les gens de cette région également.
C’est vrai qu’on n’est pas forcément
très chaleureux au premier abord mais finalement je crois
que c’est peut-être ça aussi qui m’a plu.
Cette timidité, le fait de se sentir vaincu en permanence,
il y a une sorte de défaitisme qui est assez fort et tout
ça fait partie dans le même paquet de la mélancolie
qui m’a toujours animé et plu. J’ai rarement
écouté de la musique pour danser et je crois, c’est
triste peut-être, que je n’aime pas vraiment ça
à part deux ou trois trucs mais j’aime bien parfois
les choses un peu lentes, qui vous mettent dans un état un
petit peu second et qui, en définitif, de manière
paradoxale, vous rendent heureux.
Mais j’ai vraiment un attachement pour les
paysages et j’ai une manière de visualiser, de vivre
la campagne en fait qui est très très éloignée
de la réalité du monde rural. Pour moi c’est
vraiment une sorte d’idéal. Mais je ne me vois pas
habiter à plein temps à la campagne, plutôt
faire les deux et finalement vivre à la campagne comme un
Parisien qui rêve de vert...
Quels sont vos goûts musicaux, vos références,
vos influences ?
Florent Marchet : C’est très très
large. J’ai eu plusieurs guides parce que ça a toujours
été pour me détacher aussi de la culture des
autres. C’est peut-être aussi pour ça que je
me suis autant passionné pour la musique classique ; mes
parents écoutaient beaucoup de chanson, mon frère
beaucoup de musique anglo-saxonne donc j’ai fui un peu les
deux. Et par la suite, ce qui a permis de recoller tous les morceaux
et de réconcilier tout le monde, ça a beaucoup été
des gens comme Eliott Smith en fin de compte, Nick Drake également,
car j’aimais beaucoup le côté très orchestré,
aussi pour le côté cordes qui me plaisait beaucoup,
la voix...
Egalement des gens comme Beck, Blonde Redhead,
Shannon Whright, tout ce courant là, c’est vraiment
pour moi de vraies passerelles. Et aussi dans les Français,
parce que là j’ai cité que des noms qui peut-être
pour le grand public sont super obscurs. Des gens comme Dominique
A, Murat, Miossec, maintenant ça devient presque une banalité
de dire ça pour un chanteur français mais ça
a énormément décomplexé tout le monde
et moi en fait ce sont des gens qui m’ont montré justement
des passerelles entre la littérature et la musique.
J’étais passionné par la poésie,
j’en lis toujours beaucoup mais c’est vrai que, de plus
en plus, j’ai envie qu’il y ait ce côté...on
va dire littéraire dans la chanson, pour raconter des histoires
et puis à long terme me séparer du schéma classique
chanson et pouvoir raconter des histoires en prose par exemple.
Il me semble que lorsque l’on écrit
des chansons, même sans le vouloir, on livre toujours une
petite part d’autobiographie. Alors est-ce que ce n’est
pas un peu difficile de jeter ça dans la fosse aux lions,
à des gens qui vont apprécier ou détester,
comprendre ou non ?
Florent Marchet : Il y a une forme d’impudeur
comme ça mais c’est vrai que je ne me suis pas tellement
posé la question sur le coup parce que mes chansons, elles
appartenaient tellement à ma cuisine, mon salon... Non, je
crois que justement, j’étais quelqu’un d’assez
introverti et très timide et mes chansons, c’est pas
moi non plus, c’est pas de la chanson-réalité,
pas du tout. Simplement le fait d’utiliser la première
personne du singulier, c’est pour vraiment défendre,
aimer les personnages même s’il s’agit de véritables
ordures.
Et si j’en arrive à faire quelque
chose de plus autobiographique, je pense que je passerai par un
personnage qui pourrait être une sorte d’album concept
avec un personnage comme dans un roman où l’on peut
dire des choses encore plus dures. C’est vrai qu’il
y a des thèmes qu’on a du mal à aborder mais
pourtant il faut bien les aborder si ça nous tient à
cœur et si ça nous anime complètement. Donc je
n’ai pas vraiment de gêne par rapport à ça.
Ça reste des chansons...
Comment avez-vous rencontré vos musiciens
?
Florent Marchet : C’est une longue histoire...
En fait il ne se passait pas forcément énormément
de choses dans ma région mais quand même je viens d’une
région où il y avait beaucoup beaucoup de musiciens
qui avaient un peu surfé sur la vague Blankass qui est un
groupe qui a donné, suscité l’envie chez plein
de musiciens de monter des groupes donc c’est vrai qu’il
y avait beaucoup de musiciens, j’en rencontrais beaucoup plus
qu’aujourd’hui paradoxalement.
Et c’est un peu, toutes proportions gardées,
comme ce qui s’est passé à Rennes avec toute
l’équipe Dominique A, Pierre Bondu, Philippe Katerine,
les Little Rabbits... et c’est vrai que tout d’un coup,
moi je me suis mis à jouer avec plein de musiciens de la
région, on se rencontrait tous. Et j’ai rencontré
à cette occasion Charlie et François P qui sont devenus
des amis et avec qui je joue encore. La première fois que
j’ai joué avec François, je crois qu’il
devait avoir quatorze ans. Donc c’est une très très
longue histoire...
Comment vous situez-vous face à votre
public qui est assez diversifié finalement ? Il y a un peu
un côté chanson, nouvelle scène française
et un autre côté d’amateurs plus de rock, de
fans d’Elliott Smith ou autre ?
Florent Marchet : Pour l’instant, c’est
encore un peu tôt pour en parler. C’est à dire
que j’ai du mal à voir ou percevoir mon public... J’ai
pas vraiment l’impression d’avoir un public tout simplement...
j’ai été surpris de voir, mais ça a été
une bonne surprise qu’il y ait des gens qui adoraient Elliott
Smith, cette mouvance là pouvaient aimer mon album. Même
si on adore un courant musical, c’est pas pour ça qu’on
arrive à s’inscrire dans ce courant là. Je le
vis plutôt bien enfin...
J’ai quand même la sensation, même
si j’ai pas parlé avec beaucoup de monde après
les concerts, mais j’aime bien le faire justement, par curiosité
avoir une petite idée... Même si j’écris
pas les chansons au départ pour les autres mais pour moi
d’une façon très égoïste. J’ai
vraiment la sensation que la plupart des gens qui écoutent
justement la mouvance Shannon Wright ou Eliott Smith peuvent écouter
mon album effectivement.
On dit de vos textes qu’ils sont sombres,
mélancoliques ou encore cyniques. Est-ce un parti pris ou
est-ce que ça vient comme ça sans se poser de question
?
Florent Marchet : Je pense pas que mes textes soient
cyniques simplement c’est plus des textes où je mets
des points d’interrogation. Je m’interroge sur la façon
dont on a de vivre aujourd’hui ensemble. Donc après
si parler et critiquer un monde ultra libéral, c’est
être cynique, donc dans ces cas là je suis cynique
en effet. Non mais c’est des choses qui viennent naturellement
moi je fais pas les choses en calculant comme ça parce que
pour moi l’écriture est plus quelque chose de physique
qu’une véritable réflexion.
J’ai pas quelque chose d’assidu le
matin, je prends mon cahier, je me lève et je fais deux heures.
J’ai toujours détesté les cahiers de vacances
donc c’est pas aujourd’hui que je vais m’y mettre.
Donc c’est vraiment quand je suis surexcité par un
thème, je sens que c’est quelque chose qui doit faire
partie de moi. En tout cas quand c’est quelque chose dont
va découler une chanson, à partir de ce moment là
je me mets à écrire et voilà. Mais à
partir du moment où on commence à avoir une réflexion
sur ce qu’on fait, je pense que c’est un petit peu dangereux.
Je reprends cette phrase de Lennon quand on lui demandait ce qu’il
aurait aimé être s’il avait pas été
John Lennon, il répondait "un sale abruti qui ne pense
pas".
Je trouve que parfois dans la création,
il y a quelque chose de cet ordre là alors bien sûr
on peut avoir tout un bagage, une nourriture musicale comme littéraire
ou cinématographique mais lorsqu’on se met à
créer et à s’exprimer à travers ce médiateur
là je pense que c’est bien de mettre tout ça
un peu de côté. Moi il m’est arrivé de
désaccorder ma guitare lorsque j’avais l’impression
de tourner en rond pour partir vraiment dans quelque chose d’imaginaire.
Donc justement, quand vous composez, en matière
de créativité, est ce qu’il y a pas un moment
où on se dit que tout a déjà été
fait, ou qu’on risque de vous assimiler à ce qui existe
déjà ?
Florent Marchet : Ça je m’en fous
un peu en fait... Je me pose aucune question, par contre ce que
j’aime bien, c’est vrai que je compose assez souvent
c’est que les choses viennent de manière très
simple et quasiment naturelle parce qu’on est perturbé.
Une chanson comme par exemple "Le terrain de sport", c’est
une mélodie que j’ai faite en deux secondes. Mais avant
il y a tout un stade où je cherche des choses et je ne trouve
pas, c’est un peu alambiqué etc... Et tout d’un
coup, on se retrouve avec cette mélodie et c’est assez
embarrassant parce qu’on a pas l’impression d’avoir
travaillé.
La mélodie vient toute seule et ça
peut être dangereux parce que parfois ça peut être
la chanson qu’on a entendue la veille à la radio ou
chez un ami mais on s’en souvient plus. C’est du domaine
après de l’inconscient donc c’est toujours un
petit peu le danger. Quand on fait une mélodie, on se dit
enfin de compte, ouais c’est pas mal soit ça vient
directement de son cerveau avec plus ou moins d’influence
évidemment soit c’est carrément un plagiat.
Après faut faire écouter aux amis qui jugent.
Quels sont vos projets d’avenir ? Est-ce
que vous avez des souhaits de collaboration ?
Florent Marchet : Oui j’ai envie de m’ouvrir
à plusieurs disciplines en fait pour pas rester prisonnier
du format chanson encore une fois. Moi, pour moi j’ai rien
gardé des chansons que j’avais déjà parce
que j’ai pas tout mis évidemment sur l’album.
Pour moi ça correspond vraiment à une période.
Aujourd’hui j’écoute moins de chansons qu’avant,
je suis plus fasciné aujourd’hui par la littérature
et par les romans que par l’écriture de chansons. Je
pense que ça va se ressentir et j’aimerais travailler
avec des gens comme Olivier Adam, Arnaud Katerine, des écrivains
français que j’aime beaucoup. Je pense qu’il
y aura, à long terme, puisqu’on s’est déjà
rencontré des collaborations. Moi j’ai vraiment envie
de faire un genre d’album où je vais pouvoir permettre
aux gens de se rencontrer.
J’en ai un petit peu marre de faire uniquement
des repas chez moi pour que les gens se rencontrent. J’ai
envie qu’on se rencontre aussi n studio pour faire de la musique
ensemble. Donc je sais pas quelle forme ça pourrait prendre,
si ça sera pour mon album ou non mais c’est vrai que
je rêve de pouvoir faire un album avec plein d’intervenants
comme Pierre Bondu aussi que j’aime beaucoup, des gens comme
Eric Arnaud et qu’on puisse tous se rencontrer pour faire
quelque chose en commun.
Est-ce que parfois vous avez des périodes
de doute de manque de confiance, et si oui, comment vous les dépassez
?
Florent Marchet : En général, ça
m’arrive très fréquemment. Soit je sors jour
et nuit, soit je reste dans mon lit pendant 48h. Non je sais pas...
Est-ce que la scène vous aide à
reprendre ?
Florent Marchet : La scène c’est le
seul moment où je vais pas penser à tous mes petits
soucis du quotidien. La scène par contre par moment ça
vous permet d’oublier, et parfois ça vous renvoie vraiment
à soi lorsqu’on est pas bon sur scène et Dieu
sait que ça a pu m’arriver. Au quel cas on se rend
compte, enfin moi j’ai tout mon truc de manque de confiance
en moi qui peut parfois ressortir, c’est assez pesant. C’est
vrai qu’à la sortie de l’album j’étais
pas sûr de vouloir faire de la scène. C’était
un truc un peu pas imposé mais on se dit voilà, faut
faire de la scène. Moi j’aimais bien être derrière
sur scène, j’aimais pas être devant. Et là
j’étais un peu obligé, y’avait l’album.
Et en fin de compte je pense que ça commence
à vraiment me plaire. Je commence à me trouver sur
scène. Le moment où on peut s’oublier, il y
a un peu comme une parenthèse, comme quand il y a une grève
générale en France où tout est un peu gelé
et ça fait vachement du bien quand le temps s’arrête
et c’est un petit peu la même chose sur scène,
le temps s’arrête.
Et enfin, la question traditionnelle de Froggydelight,
trois mots pour définir votre musique ?
Florent Marchet : Mélancolique.......................rêche................faudrait
répondre du tac au tac sinon au bout d’un moment on
dit n’importe quoi.... Mélancolique...Attends je vais
trouver, ça dérange pas, ça tourne là
? Ça m’arrive d’avoir des moments où j’ai
pas forcément de...c’est très difficile de parler...j’ai
toujours eu du mal à me définir, parler de moi c’est
quelque chose qui est très très dur, parler de ma
musique encore plus... J’ai aussi du mal à parler des
autres donc bon c’est un peu normal...
Mélancolique, agitée et boisée.
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