Peut-être pourriez-vous être tenté de repousser l'écoute du nouveau disque de Jay-Jay Johanson, le crooner suédois favori des français et des turcs, mais ce serait une erreur. Certes, il dit lui-même qu'il a l'impression d'écrire toujours la même chanson, ce en quoi il a tort. Certes, tous ses disques s'installent tranquillement dans votre discothèque, mais ils en ressortent régulièrement atteignant ainsi le rang de classiques indispensables. Pourquoi pas alors se précipiter sur le nouveau chapitre d'une véritable œuvre discographique ?
Durant sa carrière, Jay-Jay Johanson a connu quelques bas, mais beaucoup de hauts, des errances mais la direction de son travail, au final, varie peu. Lorsque Jay-Jay Johanson était devenu la coqueluche de la presse branchée en 1997 avec l'album Whiskey, mêlant jazz vocal et trip-hop, qui aurait cru qu'il parviendrait à se sortir d'un créneau appelé à se démoder rapidement ? Rappelez-vous d'Earthling, Zero 7, Smith & Mighty ou Craig Armstrong... Et pourtant le toujours charmant Jay-Jay Johanson sort un neuvième album de chansons encore excitant car tout d'un coup plus intrigant que ses précédents opus.
Cockroach est intrigant d'abord par sa pochette. Exit le Jay-Jay Johanson christique de l'album Spellbound en 2011. Bonjour le Jay-Jay kafkaïen de Cockroach, ce qui signifie "cafard" en anglais. La fameuse photo de Kafka au chapeau melon, qui inspire la couverture de ce nouveau disque, avait été prise dans un bordel. Kafka n'était pas l'écrivain désespéré et ascète qu'on se plaît à souvent nous présenter, mais aussi un jouisseur, amateur de prostitués comme le laisse entendre son journal.
Il y a de cela dans le nouveau disque de Jay-Jay Johanson, deux faces, une jazz, une électro, une amoureux, une Dom Juan, une séducteur désespéré, une manipulateur paranoïaque. Ce ne sont pas deux côtés d'une même pièce, mais bien deux personnalités dans un même corps, l'une se révélant parfois plus que l'autre.
L'ouverture avec "Coincidence" voit Jay-Jay reprendre son chemin où il l'avait laissé avec Spellbound dans un sillon proche du morceau "Dilemma", un des sommets du précédent album. "Mr. Fredrikson", dont la rythmique rappelle un autre groupe schyzophrène Gorillaz et son "Clint Eastwood", voit poindre le sombre héros d'un film aux ambiances hitchcockiennes. "I can feel there's something going wrong between you and Mr Frederikson... It's too hard to let you go. I know I've got some problems, but so do you". Menaçant.
Cockroach oscille ensuite entre chansons suaves ("Laura", "Hawkeyes"), balade instrumentale ("Imsomnia"), variété soutenue d'électro ("Orient Express", peut-être un hommage au Trans Europe Express de Kraftwerk auquel Jay-Jay Johanson avait déjà emprunté des samples ou "Antidote"), chansons glaçantes aux ambiances froides ("Forgetyounot" ou "Mr. Fredrickson").
Mais il faut aussi s'attarder sur "Dry Bones", reprise des Delta Rythm Boys, véritable colonne vertébrale de l'album. Cette chanson qu'on retrouve dans l'épisode final de la série Le Prisonnier avec Patrick McGoohan ne peut pas se retrouver sur Cockroach de Jay-Jay Johanson comme par hasard. Dans l'épisode final du Prisonnier, épisode entièrement dédié à la folie, le N°6 découvre qu'il est aussi le N°1.
Cet album de Jay-Jay Johanson, à qui on a parfois reproché d'être trop sage, regorge de chausse-trappes, de faux-semblant et d'illusions. Mais surtout il nous dit que cet album n'est pas une fin mais un commencement, et que Jay-Jay Johanson a désormais décidé de laisser ses folies s'exprimer pour mieux nous surprendre. |