Véritable machine à écrire, Joyce Carol Oates livre avec "Mudwoman" un pavé de six cents pages qui fera les délices des fans de la prolifique écrivaine américaine et déroutera sans doute les autres, peut-être trop rationalistes, qui chercheront, au-delà de l'autosatisfaction graphomaniaque de l'auteur, le sens de l'opus.
Tout commence par une tragédie - celle de Mudgirl, toute petite fille miraculeusement rescapée après avoir été abandonnée quasi-morte dans un marais boueux - et, plusieurs décennies après, le déplacement professionnel de la femme bien sous tous rapports qu'elle est devenue qui la ramène sur les lieux du crime.
Parvenue à la mi-temps de sa vie, que cherche Meredith Ruth Neurkichen ? Elle connaît son histoire, notamment son ascendance maternelle, une mère zolacienne, psychotique ravagée par une folie mystique qui a motivé son geste infanticide, elle a bénéficié d'une adoption par un bienveillant couple de quakers qui lui ont inculqué des principes rigoristes de haute tenue morale et, après de brillantes études de philosophie et de psychologie, elle est devenue la première présidente d'université de surcroît d'une des prestigieuses de l’Ivy League.
Sous le masque de la réussite sociale et professionnelle se terrent le refoulement et une quête inassouvie de reconnaissance et d'amour et M.R. abrite Mudgirl devenue une Mudwoman dépourvue d'affect.
De quoi laisser augurer d'un roman sur l'identité, bouteille à l'encre de la littérature contemporaine, avec la quête des origines, la quête d'identité personnelle des enfants abandonnés, mais également celle de l'identité statutaire, sociale et communautaire, voire nationale, le traumatisme de l'abandon et de la perte et la résilience.
Mais Joyce Carol Oates ne se cantonne pas à ces thématiques cependant suffisamment riches pour nourrir une intrigue psycho-romanesque, d'autant que cette immersion dans un passé traumatique est traitée selon la déclinaison de la décompensation névrotique.
Par le truchement de faits de société et d'événements politiques, elle aborde, entre autres, le nationalisme, du paradoxe du Patriot Act à la manipulation médiatique avalisant la guerre d'Irak, le statut de la femme et la féminitévues à l'aune d'un autre siècle (l'auteure est née en 1938), la maltraitance des enfants, le droit à la vie, les contre-mondes, l'élitisme du système universitaire américain et le cercle non vertueux du financement des universités privées (milieu qu'elle connaît bien pour y avoir fait sa carrière comme professeur de littérature), la religiosité et la pauvreté dans les campagnes américaines.
Même si elles sont habilement insérées dans l'histoire du personnage, manifestant la volonté de l'auteure de dispenser des convictions personnelles, elles n'en conservent pas moins le caractère de digressions parasitantes, de surcroît souvent fastidieuses et/ou agaçantes par leur humanisme bien-pensant et, parfois, leur didactisme.
Cela étant, l'écriture de Joyce Carol Oates, chantre de
l'art de la fiction gothique, reste percutante quand elle pratique de manière totalement maîtrisée dans la recension de la la confusion du paysage mental de l'héroïne qui navigue entre passé et présent et entre réalité, fantasme et délire hallucinatoire. |